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Quelque intéressantes que fussent, ces réponses, il y en eut une qui, dans l’état des affaires, était plus importante encore : « Votre frère prend le titre de sultan, lui avait-on dit ; les Arabes doivent en rire. » — « Non, s’écria-t-il, les Arabes n’en rient pas ; ils l’aiment au contraire, à cause de son courage et de sa générosité ; car il ne songe pas, comme Abd-el-Kader, à bâtir des forts pour y enfouir son argent et ses ressources. Il a mieux compris que lui la guerre qu’il faut vous faire ; il ne possède qu’une tente et trois bons chevaux ; aujourd’hui il est ici, demain matin à 20 lieues plus loin. Sa tente est pleine de butin, un instant après elle est vide ; il donne tout, absolument tout, et reste léger pour aller partout où l’appellent les musulmans en péril. »

Plus irritant que dangereux pour les Français, Bou-Maza était à la fois irritant et dangereux pour Abd-el-Kader, puisqu’on pouvait déjà non-seulement le mettre en comparaison avec lui, mais encore le mettre au-dessus de lui. C’était un symptôme grave qu’une grande influence autre que la sienne fût assez forte pour remuer profondément et soulever la population arabe. Dès qu’il eut appris les succès de son rival, il prit la résolution de rentrer immédiatement en campagne, et il fit annoncer dans les montagnes des Trara révoltés et par toute la vallée de la Tafna son arrivée prochaine.

À cette nouvelle, le général Cavaignac sortit de Tlemcen et se porta sur la rive gauche de la rivière, avec une petite colonne composée d’un bataillon de zouaves, de deux bataillons du 15e léger, d’un bataillon et de deux compagnies d’élite du 41e de ligne, de deux escadrons du 2e chasseurs d’Afrique et d’un escadron du 2e hussards, avec deux sections d’artillerie de montagne et cinquante sapeurs. Toute l’infanterie ne comptait que 1,340 baïonnettes et la cavalerie 300 chevaux. En avant, à Lalla-Maghnia, se trouvait le lieutenant-colonel de Barral du 41e, avec le 10e bataillon de chasseurs, un bataillon du 15e léger, deux escadrons du 4e chasseurs d’Afrique et deux obusiers de montagne ; « mais, écrivait, à la date du 21 septembre, le général Cavaignac, l’effectif de cette colonne est si faible, vu l’état sanitaire des troupes, que je ne pourrai l’engager dans le pays des Trara qu’après que je serai maître de ses crêtes. J’aurai alors environ 1,800 hommes, qui me suffiront pour cerner le pays et y frapper un coup décisif, si j’y trouve une résistance sérieuse. »

Du 22 au 24 septembre, le général ne cessa pas de combattre ; le 24 particulièrement, l’opiniâtreté des Kabyles fut si grande et si prolongée que Cavaignac ne put pas s’empêcher d’en faire la remarque. Le soir, après le combat, on les entendit pousser des acclamations et faire une décharge générale de leurs armes. C’était leur