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a-t-il eu le tort de se souvenir trop de l’époque où Rome était le centre et la tête de l’empire, presque l’empire entier, et où cette aristocratie, à laquelle il appartenait, gouvernait réellement le monde. Quand il s’était mis devant les yeux ce passé glorieux, les dignités dont les princes l’honoraient devaient lui sembler médiocres. Tout ce qu’un grand seigneur pouvait être, Flavien l’avait été ; Théodose, dont il avait écrit l’histoire, lui témoignait une très vive affection, qui résista aux dissentimens religieux et survécut à quelques disgrâces passagères. Quelque irrité que fût le maître, il semble que Flavien n’avait qu’à se montrer pour reconquérir ses bonnes grâces. Il fut même quelque temps questeur du palais, poste de confiance qui le rapprochait du prince et en faisait le confident et l’interprète de ses plus secrètes pensées. Rien pourtant ne lui suffit. En 392, il semblait plus puissant et mieux en cour que jamais : il était préfet du prétoire d’Illyrie, désigné consul pour l’année suivante, quand, on ne sait pourquoi, il se jeta dans le parti de l’usurpateur Eugène, qui ne pouvait pas lui donner plus que Théodose. Je n’ai pas à raconter ce qu’il fit pendant les quelques mois que dura ce règne éphémère[1]. Nous savons qu’il fut quelque temps le maître de Rome, et qu’il profita de son pouvoir pour rétablir, autant qu’il le pouvait, la religion nationale, lui ramener des fidèles et rendre tout leur éclat aux vieilles cérémonies. Il quitta ensuite Rome pour Milan, où il effraya les chrétiens par ses menaces, puis il alla disputer à Théodose le passage des Alpes. Vaincu, il ne voulut pas survivre à sa défaite, et l’on nous dit qu’il se tua ou se fit tuer. Celui-là, comme on voit, n’était pas seulement un théologien, mais un homme d’action. Avec lui, les païens perdirent le dernier chef politique qui leur restait.

Étendons-nous un peu plus sur le troisième personnage, qui sera l’un des acteurs principaux de la lutte que nous allons raconter. Symmaque, ou, pour lui donner tous ses noms, Q. Aurelius Symmachus, était, comme les deux autres, de bonne maison et fort riche. Il se fit, dès sa jeunesse, une grande réputation d’éloquence. Le sénat, qui était fier de lui, et qui comptait sur son talent pour se rendre le prince favorable, l’envoya plusieurs fois lui porter ses vœux ou ses doléances. C’était le temps où Valentinien Ier guerroyait

  1. Nous connaissons mieux aujourd’hui toute cette dernière partie de la vie de Flavien, grâce à la découverte que M. Léopold Delisle a faite, il y a quelques années, d’un petit poème latin placé, dans un manuscrit du VIe siècle, à la suite des œuvres de Prudence. C’est un pamphlet de l’époque, écrit par un chrétien fort zélé, mais qui connaissait mal la versification latine. Il nous donne des détails très curieux sur la réaction païenne dans Rome et les menées de Flavien pendant qu’il était à la tête du parti d’Eugène.