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d’appui aux colonnes d’observation. Tout le mois de juin se passa de la sorte sur le qui-vive. Enfin, on apprit d’une manière certaine que l’émir était rentré par Figuig dans le Maroc, où il avait retrouvé sa deïra non-seulement sans inquiétude, mais prospère et recrutée par un si grand nombre d’adhérens venus de toutes parts, qu’on y pouvait compter plus de 2,000 tentes. Il était évident que l’article II du traité de Tanger était bel et bien lettre morte.

« Les Marocains, écrivait La Moricière à Bourjolly, ne paraissent point avoir envie de nous faire la guerre ; quand je dis les Marocains, je devrais dire leur gouvernement. Quant aux tribus de la frontière, celles au milieu desquelles est établie la deïra d’Abd-el-Kader, le kaïd d’Oudjda les empêche de commettre des actes d’hostilité dans le Tell ; mais elles ont été si bien prêchées et fanatisées par Abd-el-Kader qu’elles sont aujourd’hui plutôt à lui qu’à Mouley-Abd-er-Rahmane ; et comme ces tribus sont nombreuses et puissantes, qu’elles occupent un pays fort difficile et en général fort mal soumis, je crois que l’empereur, alors même qu’il en aurait la ferme intention, serait fort embarrassé pour employer des mesures coercitives contre la base d’opération que l’émir s’est créée dans ses états. On ne peut se dissimuler qu’en présence d’une semblable situation, le traité avec les Marocains ne soit assez difficile à rajuster. »

Enfin, le maréchal Soult écrivait lui-même au gouverneur : « Sans doute, il est pénible d’être réduit à exercer une défensive offensive après deux traités, l’un de paix, l’autre de délimitation, qui devraient nous inspirer une sécurité parfaite, s’ils étaient loyalement exécutés ; mais c’est un mal qui durera encore longtemps, au moins pendant l’existence d’Abd-el-Kader. Il convient de chercher un remède à cette situation, qui n’est ni paix ni guerre, dans une activité extrême, une excessive vigilance et une mobilité telle qu’elle nous permette de faire face à toutes les éventualités. »

Le maréchal Bugeaud n’en prenait pas aussi facilement son parti. Comme il voulait traiter cette question et quelques autres personnellement avec le maréchal Soult, il prit un congé, laissa de nouveau l’intérim du gouvernement à La Moricière, et s’embarqua, le à septembre, pour la France. « Si l’on ne comprend pas, avait-il dit quelques jours auparavant à Saint-Arnaud, ou si l’on ne veut pas me comprendre, je ne reviendrai pas. Si tout s’arrange, comme je le crois, je serai de retour dans les premiers jours de novembre. »


III

Le maréchal Bugeaud était mécontent ; son mécontentement avait plusieurs causes. La première de toutes était l’hostilité plus