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détachement de sapeurs. Les principales tribus insurgées étaient les Beni-Ouaguenoun et les Beni-Mimoun. Telle était la terreur que réveillait dans ces montagnes le seul nom de Bugeaud, qu’il ne lui fut pas même nécessaire de combattre. Les deux tribus s’empressèrent de demander l’aman et de payer la contribution de guerre. Une tribu encore plus puissante, les Beni-Raten, qui se sentaient menacés, conjurèrent l’orage, en priant le maréchal d’épargner à leur pauvre et rude pays les maux d’une lutte qui ne donnerait de profit à personne. La chaleur était grande ; le gouverneur n’était pas en mesure d’exécuter ses grands projets sur la Kabylie. Satisfait pour le moment d’avoir rétabli l’ordre autour de Dellys, il rentra, le 7 août, à Alger.

L’insurrection semblait comprimée partout, à l’est et à l’ouest ; mais il y avait Abd-el-Kader, qui, de sa personne, ayant quitté le Maroc, où sa deïra continuait de vivre, avait recommencé depuis deux mois ses courses rapides dans le sud. D’abord, dans les premiers jours de mai, afin de détruire l’effet des opérations de la colonne Géry, l’émir s’était porté sur Sutten, qu’il avait mis au pillage, puis il était allé menacer d’une razzia les Harar. La Moricière se tenait en avant de Frenda et Bourjolly près de Tiaret.

« Je m’attends d’un jour à l’autre, écrivait, le 22 mai, le maréchal Bugeaud à La Moricière, je m’attends d’un jour à l’autre à apprendre qu’Abd-el-Kader s’est montré sur l’un ou l’autre point du Tell, ce que ni vous, ni moi, ni personne ne pouvons empêcher, quoique nous soyons vingt fois plus forts qu’il ne faut pour le battre. C’est que nous avons à protéger le pays conquis sur une ligne considérable, et que nous devons surtout être prompts à arrêter les effets de son influence morale, cent fois plus puissante que sa force matérielle. S’il n’avait que celle-ci, nous pourrions, sans de grands inconvéniens, lui laisser faire une pointe dans le Tell ; mais son ascendant sur les populations nous impose l’obligation de l’arrêter le plus complètement possible. De la nécessité de diviser nos forces, de sorte que, quoique vous ayez une nombreuse cavalerie, vous ne pouvez avoir à chaque colonne un nombre de cavaliers qui égale le quart de ceux qu’il peut vous présenter ; D’un autre côté, comme il n’a plus que des tribus nomades dont vous ne pouvez atteindre que très difficilement les intérêts, votre rôle est devenu à peu près défensif ; c’est certainement ce qu’il y a de plus difficile. »

A la tête de quelques centaines de cavaliers, Abd-el-Kader faisait des courses d’une rapidité sans égale, 60 lieues, par exemple, en trois jours. Afin d’être prêtes à se porter aussi vite que possible sur un point menacé, les troupes de La Moricière travaillaient à relier par un chemin continu, sur une ligne de 80 lieues, les quatre, postes de Sebdou, Daya, Saïda et Tiaret, qui servaient