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choses légères ou bizarres ou romanesques, ces affaires des Balkans, qui jouent un certain rôle dans la diplomatie et dans les démêlés de l’Europe, viennent de se compliquer des aventures personnelles du roi Milan de Serbie. Ce n’est peut-être pas un chapitre de politique bien sérieuse ; c’est un chapitre de l’histoire de ces petites cours orientales, où, sous un vernis civilisé, il y a bien des violences et des intrigues. A vrai dire, ce roi Milan est un prince assez fantasque, assez livré à ses caprices, qui joue un peu despotiquement avec ses assemblées et ses ministères. Il a conduit assez médiocrement jusqu’ici les affaires de sa principauté, surtout à l’époque où il est allé se faire battre par le prince Alexandre de Bulgarie et où il n’a pas su défendre la Serbie d’un humiliant échec. Aujourd’hui il poursuit d’autres exploits : il s’occupe de rompre son mariage avec la reine Nathalie, qui lui a donné un enfant, maintenant prince royal de Serbie ; il veut divorcer, et, depuis quelques jours, l’Europe est tenue au courant des luttes intestines de la petite cour de Belgrade, des péripéties de ce roman serbe. Il y a déjà nombre d’années que le roi Milan a fait ce mariage avec une belle et séduisante personne, fille d’un général russe, alliée à des familles princières de ces pays orientaux. La bonne harmonie n’a pas duré ; les mésintelligences n’ont pas tardé à venir. D’où sont-elles venues ? Il faudrait peut-être entrer dans la chronique secrète de Belgrade. Ce qu’il y a de sûr, c’est que la reine Nathalie n’a pas cessé de garder sa bonne renommée, qu’elle s’est conduite avec autant de dévoûment que d’héroïsme pendant la dernière guerre avec la Bulgarie. La discorde n’a pas moins éclaté dans le ménage. La reine a cru avoir des griefs intimes, nombreux contre le roi, elle s’est sentie offensée dans sa dignité de femme ; le roi a accusé la reine de vues ambitieuses, d’emportemens de caractère, peut-être d’intrigues politiques.

Bref, on ne s’entendait plus. La scission a éclaté par une séparation plus ou moins amiable, et la reine, quittant Belgrade, est allée tour à tour à Vienne, à Florence, en Allemagne, avec son fils, le jeune prince royal, dont l’éducation et la direction lui restaient confiées. Puis cela n’a pas suffi : le roi a voulu le divorce, il l’a poursuivi avec une certaine âpreté violente, croyant sans doute dompter la résistance de la reine. Il est allé même jusqu’à invoquer le secours assez brutal de la police allemande pour faire enlever, à Wiesbaden, son fils, le prince royal, disputé par la mère désespérée aux estafiers ; mais c’est ici que tout se complique encore. Le roi a réuni un synode pour faire prononcer sommairement son divorce. Le synode s’est récusé prudemment, laissant à d’autres cette besogne équivoque, — et voilà le roi assez embarrassé, obligé de se désister ou de recourir à une procédure assez compliquée s’il veut arriver à avoir son divorce. Ce que le roi Milan n’évitera sûrement pas désormais, c’est le ridicule qu’il s’est exposé à attirer par tout ce bruit sur sa royauté. Sa popularité