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favoriser, ne fût-ce que par une complicité tacite, une démarche qui pouvait atteindre la France dans sa dignité ou la provoquer à une guerre plus que jamais dangereuse pour l’équilibre de l’Europe. On n’a donc pas parlé de désarmement à Péterhof, ou, si on en a parlé, c’est à peu près pour ne rien dire. Les choses sont ce qu’elles étaient. Il y avait hier des armemens, il y en a encore aujourd’hui ; il n’y a pas un soldat de plus, pas un soldat de moins. L’avènement et le voyage de l’empereur Guillaume II n’ont rien changé.

D’un autre côté, cette entrevue de Péterhof est-elle destinée à avoir une influence sensible sur l’état diplomatique de l’Europe, à modifier les alliances existantes, les rapports des principales puissances, plus ou moins engagées dans les affaires d’Orient ou d’Occident ? A vrai dire, on ne voit pas bien quels pourraient être les résultats précis, décisifs de cette rencontre aux bords du golfe de Finlande. Il est sans doute plus que vraisemblable que les deux empereurs ou leurs ministres ont dû s’entretenir des questions qui divisent les cabinets, des malentendus qui ont pesé dans ces derniers temps sur leurs relations, des troubles des Balkans, des affaires de la Bulgarie. Ces conversations peuvent assurément avoir leur importance ; mais la Russie a pris depuis longtemps déjà une position si nette, si tranquillement résolue et si forte qu’elle n’a pu certainement songer à l’abandonner du jour au lendemain. Elle a pour elle un traité sanctionné par l’Europe, des traditions ou des habitudes de prépondérance en Orient, la confiance dans sa force. Elle a prouvé avec éclat qu’elle ne voulait pas mettre légèrement la paix en péril ; elle n’a jamais renoncé non plus à ce qu’elle considère comme son droit. Elle attend tout de la marche des choses, du cours des événemens, sans rien brusquer, sans se laisser émouvoir. Elle sait bien, après tout, que rien de définitif ne se fera dans les Balkans, en Bulgarie, sans son aveu ; c’est sa grande force dans cette affaire, d’où dépend peut-être encore réellement la paix de l’Europe. — L’Allemagne, pour sa part, l’Allemagne représentée par son tout-puissant conseiller M. de Bismarck, n’a jamais contesté les droits traditionnels de la Russie en Orient. Le chancelier a plus d’une fois reconnu ces droits avec une sorte d’ostentation du vivant du vieil empereur Guillaume : il a même offert au cabinet de Saint-Pétersbourg son appui diplomatique pour maintenir l’intégrité du traité de Berlin en Bulgarie comme partout, et Guillaume II n’est point certainement allé à Péterhof pour parler au tsar un autre langage ; mais l’Allemagne est en même temps engagée avec sa ligue de la paix, avec l’Autriche, qui a ses intérêts en Orient, qui poursuit avec une patiente ténacité sa politique d’antagonisme et d’hostilité contre l’influence russe, qui voudrait surtout aujourd’hui, sans s’inquiéter du traité de Berlin, une Bulgarie indépendante des tsars de Pétersbourg. Si M. de Bismarck fait trop de concessions à la Russie pour reconquérir son amitié, il compromet