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sans entrer dans des coalitions équivoques, résolue avant tout à ne point se départir de ce rôle d’expectative et d’observation qu’elle a pris depuis quelque temps, qui n’est point sans grandeur. En un mot, l’entrevue de Péterhof a pu laisser de bons souvenirs, elle n’a rien produit et elle ne pouvait rien produire.

On a dit un instant, il est vrai, que l’empereur Guillaume portait avec lui à Péterhof une idée, une grande idée, qu’il devait y avoir un coup de théâtre, une manifestation pour la paix sous la forme d’une proposition de désarmement général ou partiel. C’était évidemment une histoire imaginée à plaisir par ceux qui ont toujours une provision de révélations inattendues pour émoustiller la curiosité européenne. Ce n’est point, si l’on veut, que l’idée ne puisse paraître séduisante et qu’elle ne fût assez naturelle dans un temps où toutes les nations s’épuisent en dépenses militaires, toujours croissantes. Elle n’a malheureusement rien de pratique et de sérieux. Elle n’est qu’une innocente chimère des congrès de la paix, — à moins qu’elle ne soit tout simplement une autre manière de préparer la guerre. Qu’est-ce que peut être un désarmement aujourd’hui ? Si tout se borne à des réductions d’effectifs, ce n’est rien, ce n’est qu’une trêve déguisée et continuée en attendant le rappel, toujours possible, des contingens momentanément congédiés. S’il s’agit d’un désarmement plus sérieux et plus efficace, qui ne devient réalisable que si l’on se décide à diminuer les cadres des armées, à laisser s’affaiblir les ressorts de la puissance militaire, à limiter le développement des défenses de frontières, c’est une véritable impossibilité qu’on tenterait. Qui se chargerait de trancher ces questions délicates et se ferait juge des situations, des intérêts des états, de la mesure des forces nécessaires aux divers pays ? Une proposition de désarmement portée à Péterhof n’eût été qu’un mot, ou elle n’aurait pu être qu’une démonstration dirigée contre notre pays, une grande tentative pour imposer la paix à la France, comme on l’a dit ; mais sur quoi se serait-on fondé ? Est-ce que la France menace la paix ? Est-ce qu’elle n’a pas obéi à la plus simple nécessité de défense en se refaisant une frontière à la place de celle qu’elle avait perdue ? Est-ce qu’elle a pris l’initiative des armemens démesurés dont on se plaint ? S’il y a une menace pour la paix, elle est dans la situation faite à l’Europe : que ceux qui ont créé cette situation commencent eux-mêmes par désarmer, par donner le signal d’une politique nouvelle ! Dans tous les cas, quelle apparence que le cabinet de Saint-Pétersbourg pût s’associer à une démonstration qui, sous prétexte d’imposer la paix, ne pouvait que conduire fatalement à la guerre ? Quel avantage avait la Russie à entrer dans une coalition prétendue pacifique ou défensive, dont l’Allemagne aurait eu seule les profits ? Le tsar peut juger avec sévérité nos affaires intérieures et nos ministères : les ministères passent, la France reste, et la Russie n’avait aucun intérêt à