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que de son génie, de ses services, de ce qu’il a fait pour la France, pour l’avenir. Par une de ces transfigurations qu’une amitié fidèle a pu seule se permettre, voilà M. Gambetta placé parmi les immortels fondateurs et défenseurs de la patrie, dans « la lignée glorieuse de Louis XI, d’Henri IV, de Richelieu — et de Danton ! » On veut même bien remarquer qu’il a particulièrement avec Henri IV a des traits de ressemblance sous le rapport de l’esprit à la fois vif et profond. » Il est de la « grande race ; » — il devait nécessairement avoir sa place « au centre de la cité, » comme il l’a déjà a au centre de l’histoire. » voilà qui est parler ! On ne voit pas qu’il y a au bout du compte quelque ridicule dans ces exagérations, qui ne sont vraiment possibles que dans un temps où le sens de l’histoire et de la politique est si étrangement émoussé, où l’esprit de parti se plaît à jouer avec les événemens comme avec les hommes, où tout finit par des amplifications et des amphigouris.

Lorsqu’il y a quelques jours, au lendemain de cette cérémonie de M. Gambetta et de la séparation des chambres, M. le président de la république est parti pour le Dauphiné, appelé par l’anniversaire de l’assemblée de Vizille en 1788, c’était certes un voyage qui n’avait rien de vulgaire. L’événement était digne d’une commémoration. Cette assemblée spontanément réunie, il y a cent ans, à Vizille, fut en effet le prélude, un prélude émouvant, sérieux et sans mélange anarchique, de la révolution française. Elle était le prologue ; et, si depuis, le drame s’e6t déroulé à travers d’effroyables crises et de tragiques événemens de toute sorte, s’il y a eu au cours du temps bien des excès, des déviations, des violences, des réactions contraires, des mécomptes qui ne sont peut-être pas encore finis, le mouvement des premiers jours, celui dont on allait célébrer l’anniversaire, ne garde pas moins dans l’histoire sa pureté et son éclat. Ce qu’il y avait de mieux, c’était de lui laisser son caractère, de respecter ces souvenirs, d’honorer ce mouvement de 1788 pour ce qu’il a été, sans le dénaturer et surtout sans chercher à l’exploiter. Malheureusement, il est assez clair que les républicains d’aujourd’hui, ceux qui sont au pouvoir et ceux qui les appuient, ne voient dans ces anniversaires qu’une occasion de refaire l’histoire à leur manière, de tout ramener à leurs idées et à leurs passions, de se servir des plus généreux souvenirs dans un intérêt de parti. Ils ne savent pas mieux interpréter le passé que gouverner le présent. Ce n’est point sans doute que, dans ce brouhaha des fêtes récentes du Dauphiné, il n’y ait eu des paroles bien inspirées, des désaveux de tous les excès, de sérieux appels à l’esprit libéral de la révolution française. M. Casimir Perier, qui recevait M. Carnot à Vizille, a prononcé un discours aussi habile que chaleureux, où il a dit justement, finement, qu’on devait étudier l’histoire, non pour la recommencer, mais pour s’en inspirer, pour éviter les fautes du passé.