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Qu’est-ce qu’il reproche, en effet, à son « Immortel, » le professeur Astier-Réhu ? d’être un malhonnête homme ? en aucune façon ; et la probité de sa vie, jointe à l’énergie de sa volonté, feraient plutôt de ce dur et patient Auvergnat une espèce de héros de vertu. D’être médiocre, alors ? et d’être tombé lourdement dans le piège que lui a tendu son faussaire ? Sans doute ; mais il le trouve surtout ridicule et moquable d’être professeur, d’être académicien, d’être historien. « Oui, parlons-en du professeur, un misérable, dont l’existence s’est passée à détruire, à arracher dans des milliers d’intelligence la mauvaise herbe, c’est-à-dire l’original, le spontané… Ah ! le saligaud, nous a-t-il assez raclés, épluchés, sarclés… » Et l’historien ! « voyons, est-ce que cela constitue un titre d’historien, ce délayage de pièces inédites en de lourds in-octavo que personne ne lit… Il n’y a que la légèreté française pour prendre ces compilations au sérieux… Ce que les Allemands et les Anglais nous blaguent ! » Par où l’on voit, d’ailleurs, que M. Daudet ne connaît guère d’historiens allemands ni anglais. Car, en voilà qui se moquent de la composition ; et d’être lus par les romanciers ! Je crains aussi décidément que l’histoire ne consiste pour lui que dans la « chronique, » et l’art de l’écrire qu’à la moderniser, comme ont fait MM. de Goncourt… Mais ce qu’il me semble que l’on voit plus clairement encore, c’est ce qu’il y a par-delà ces grands mois : je veux dire la haine de la tradition, sous le nom de « convention, » et le mépris rageur du passé.

Oui, romanciers, auteurs dramatiques, journalistes et peintres, chroniqueurs et a reporters, » ils sont toute une école pour qui le monde et l’art n’ont commencé qu’avec eux. C’est l’éternelle querelle, qui dure depuis trois ou quatre cents ans, celle des « modernes » et des « anciens. » Écoutez-les plutôt dire. La haine qu’ils ont de l’Académie française, ils l’ont, et ils la témoignent tous les jours, à toute occasion, de tout ce qui 8e fonde sur le respect de la tradition ou l’amour du passé. Ils l’ont, par exemple, de l’École des Beaux-Arts et de l’École de Rome, où l’on apprend qu’il y eût de grands peintres avant Edouard Manet, et que les chefs-d’œuvre de Bastien Lepage et de la petite Marie Baschkircheff ne sont le dernier mot de l’art, que dans le sens et dans la mesure où le bégaiement du vieillard imite le balbutiement de l’enfant. Ils l’ont également du Conservatoire, de la Comédie-Française, et de ce répertoire classique, dont les chefs-d’œuvre, en maintenant un certain niveau de goût ou de délicatesse, empêchent la foule de courir aux romans de M. Zola, dramatisés par M. Busnach, ou aux vaudevilles tour à tour indécens, prétentieux et lugubres de M. Paul Alexis et des « jeunes » qui l’imitent. « Ineptissimus vir Astier-Réhu ! » Ils l’ont encore, cette haine, pour le latin que l’on enseigne à nos enfans dans les collèges, parce qu’il en reste toujours quelque chose, et qu’à défaut d’autre profit,