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l’une de Cicéron, l’autre de Diogène Laërce, et un fragment de Philodème, on arrivera à cette conclusion, que deux systèmes de théologie ont probablement coexisté dans l’école d’Épicure. Le premier, plus populaire, est celui qui admet des dieux réels dans les intermondes ; le second, plus philosophique, réduit la divinité à un phénomène d’imagination, objectivement déterminé par des courans d’images semblables que forment les plus subtils atomes, ceux de l’éther et du feu.

Pour des matérialistes comme Démocrate et Épicure, tout phénomène mental est nécessairement matériel dans sa nature et dans sa cause. L’âme, composée d’atomes, reçoit une impression mécanique des atomes du dehors : c’est ainsi qu’elle sent, connaît, imagine, Si nous pensons qu’il y a des dieux, cela ne peut être que parce que des combinaisons d’atomes existent objectivement, qui produisent en nous cette pensée. Or, la croyance aux dieux, étant universelle, ne saurait être entièrement fausse ; donc il faut dans le monde quelque chose qui l’explique. Ce monde, où tout le réel n’est qu’atomes, fournit donc des images dont le courant continu rend possible la pensée religieuse. Chacune de ces images est trop subtile pour être aperçue, mais leur ressemblance et leur continuité finissant par faire une impression, en prenant ce mot dans l’acception matérialiste de son étymologie. Ce qui revient à dire que certains événemens de l’univers suivent une direction constante, et que cette direction révèle à l’homme l’existence d’une nature éternelle et bienheureuse. Débarrassons la théologie épicurienne de l’enveloppe matérialiste qui la dissimule à nos yeux ; interprétons en termes psychologiques la théorie épicurienne de l’imagination ; nous aurons à peu près ceci : le monde contient en soi de quoi suggérer à notre raison un idéal de l’humanité auquel il convient de tendre, et dont le caractère essentiel, outre l’éternité qui ne saurait devenir notre partage, est la béatitude dans l’impassibilité.

Les dieux d’Épicure sont donc des idéaux ; voilà, croyons-nous, l’expression la plus élevée de la doctrine, telle qu’à la suite de Démocrite elle a pu être expliquée par le maître à quelques disciples privilégiés. Mais ces idéaux de la vie bienheureuse, s’ils n’ont d’autre cause objective que des courans d’images semblables, spontanément formées par les atomes les plus subtils, n’excluent en aucune manière l’existence de ces dieux logés dans les intermondes, et qui, ceux-là, sont bien réels, puisqu’ils mangent et qu’ils parlent. Ces deux classes de divinités, Diogène Laërce et Philodème l’attestent, étaient reconnues également par l’école, les dieux réels plus appropriés sans doute à l’usage des esprits peu philosophiques. L’orthodoxie épicurienne n’est pas intolérante ;