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acropole le camp, comme leurs parens les gens de bien, et comme étrangers les méchans. »

« Le plan de république dressé par Zénon, et que l’on admire tant, dit le même Plutarque, se résume dans ce point capital : que nous ne devons plus habiter des villes et des bourgades régies chacune par des juridictions spéciales, mais regarder tous les hommes comme autant de compatriotes et de concitoyens ; qu’il ne doit plus y avoir qu’un même genre de vie, un même ordre, comme si l’humanité était un grand troupeau vivant sur un pâturage commun. »

La conséquence de ce cosmopolitisme, c’est que la conception de la vie privée comme distincte de la vie et des obligations du citoyen devenait possible ; c’est que l’individu se sentait pour la première fois des droits, et prenait conscience de son indépendance, de sa valeur, de sa dignité en face de l’état jusqu’alors tout-puissant. Cette revendication de la liberté individuelle, au nom de l’universelle fraternité, devait apparaître aux yeux des partisans de l’ancien ordre de choses comme la ruine du patriotisme local, le seul que la Grèce ait connu. Et elle l’était en effet. « Ne nous méprenons pas sur cette époque, dit Droysen ; ce qui nous semble à nous, le fondement de l’ordre social, la liberté et le droit de l’individu, est apparu dans le monde grec comme une corruption des mœurs du bon vieux temps. »

Par là s’explique la sympathie des philosophes de cette période pour la monarchie, telle que la firent peser sur la Grèce Alexandre et quelques-uns de ses successeurs, Antipater, Polysperchon, Cassandre.. Seule la monarchie, en maintenant dans un commun abaissement les cités, jalouses et ennemies les unes des autres, pouvait sauvegarder l’individu contre l’omnipotence de l’état local, toujours prêt à le ressaisir. « C’était une idée courante (à la fin du IVe siècle), dit Droysen, que, pour être philosophe, il fallait voir dans la démocratie une idée surannée et dans la royauté le véritable principe du temps. » Théophraste, le partisan le plus décidé de Cassandre, avait (nous l’avons dit tout à l’heure), plus de deux mille disciples qui conformaient sans doute leurs opinions politiques à celles de leur maître. Démocharès, le neveu de Démosthène, le patriote athénien, le chef du parti qui, avec l’aide d’Antigone et de Démétrius Poliorcète, renversa le protectorat macédonien de Démétrius de Phalère, cite, dans Athénée, plusieurs adeptes de l’école platonicienne qui arrivèrent, ou aspirèrent tout au moins à la tyrannie, entre autres un certain Timée, à Cyzique. Épicure, malgré son indifférence politique, a une tendresse évidente pour la monarchie.

Aussi, quand la démocratie athénienne, réussit à s’affranchir pour