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arrête le riche sur la place publique, il prêche le peuple dans la rue. Il ne connaît ni respect ni crainte. Il regarde tous les hommes comme ses fils, toutes les femmes comme ses filles. Mauvais traitemens, exil, mort, n’ont, à ses yeux, rien de redoutable ; et, s’il est battu, il aimera qui le bat, car il est à la fois le père et le frère de tous les hommes.

Bien souvent, aux premières épreuves, le cœur manquait. « Semblables, dit Plutarque, à des voyageurs qui s’éloignent d’un pays qu’ils connaissent sans voir encore celui où ils doivent aller, ces nouveaux philosophes,.. livrés à des agitations cruelles, flottent quelque temps dans l’incertitude, reviennent sur leurs pas et renoncent à leur entreprise. » Plutarque nous raconte l’histoire d’un Romain, nommé Sestius, qui avait quitté charges et dignités pour embrasser la philosophie ; mais il fut tellement découragé par les difficultés du début, qu’il pensa se précipiter du haut d’un toit. Il y a quelque chose de touchant dans l’anecdote rapportée sur Diogène. « Pendant que les Athéniens célébraient une fête solennelle et passaient les jours et les nuits dans les festins, il se retira le soir, dans un coin de la place publique, pour y passer la nuit. Il fut assailli d’une foule de réflexions qui combattaient la résolution qu’il venait de prendre et portaient à son âme de vives atteintes. Il se représentait à lui-même que, sans aucune nécessité, il embrassait un genre de vie dur et sauvage, qui l’isolait du reste de la société, et le laissait dénué de toute sorte de biens. Dans le trouble que lui causaient ces pensées, il vit une souris se glisser auprès de lui et ronger les miettes qui tombaient de son pain. À cette vue, reprenant courage et se reprochant sa faiblesse : « Eh ! quoi ! Diogène, se dit-il à lui-même, cet animal se nourrit et se régale de tes restes : et toi, l’homme supérieur, parce que tu ne prends point part à ces festins dissolus, que tu n’es pas couché sur des lits moelleux et richement parés, tu pleures, tu te lamentes ! »

Certaines écoles imposaient aux disciples de longues initiations, parfois des pénitences douloureuses pouvant compromettre la santé et la vie. « Les uns, dit le Nigrinus de Lucien, veulent qu’on enchaîne leurs élèves ; d’autres qu’on les fouette ; d’autres, que ceux qui ont un joli visage se tailladent avec le fer… Il ajouta que plusieurs jeunes gens étaient morts des suites de ces pratiques insensées. » Il fallait retenir par cœur et posséder d’une mémoire imperturbable une sorte de catéchisme. Il fallait pénétrer dans les replis les plus secrets des doctrines avant d’entrevoir le moment d’atteindre au souverain bien, de participer au bonheur parfait et absolu. Dans l’Hermotime du même Lucien, le sceptique Lycinus rencontre son ami, un adepte du stoïcisme. Hermotime, un livre