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Il n’en est pas moins vrai que ces soupçons, ces craintes, quelque peu fondés qu’ils soient, entretiennent chez les deux peuples un état fâcheux d’irritation. Des deux côtés on s’inquiète, on se méfie. J’ai entendu des Italiens avouer qu’ils auraient quelque répugnance à venir à Paris en ce moment, de peur d’y être mal accueillis. Et nous aussi, quand nous sommes partis pour Bologne, que de fois n’avons-nous pas entendu dire que nous avions tort de ne pas rester chez nous, et que nous risquions de n’être pas bien reçus ! Nous étions bien sûrs du contraire ; nous savions que nous ne trouverions partout qu’empressement et courtoisie. Sans doute, aucun de nous n’ignorait que les Allemands sont en Italie l’objet de grandes prévenances ; il faut dire aussi qu’ils font beaucoup d’efforts pour plaire à leurs nouveaux alliés. On vient de voir qu’à Bologne leur délégation était plus nombreuse que celle des autres peuples. Le jour de la fête, on nous a lu un long télégramme que l’empereur Frédéric III avait écrit de sa main mourante, et qui contenait, pour l’université et les professeurs bolonais, les complimens les plus délicats. Il est difficile d’être insensible à ces avances d’un allié qui a pour lui le prestige de la victoire. Cependant, entre les Allemands et nous, on n’a laissé paraître aucune préférence. Il était même assez amusant de voir les précautions qu’on prenait pour tenir la balance égale. C’est tout ce que nous pouvions exiger ; peut-être avons-nous obtenu davantage. Il nous a semblé, quand nous regardions de près, que l’accueil qu’on nous faisait avait quelque chose de plus cordial et de plus sincère. Les Italiens ont beau faire, ils ne peuvent être amis des Allemands que par politique. Le passé les sépare, et le génie des deux peuples est trop différent pour qu’ils puissent tout à fait s’entendre. Avec des gens de même race, comme nous, qui parlent presque la même langue, qui ont le même tour d’esprit, qui leur ressemblent par les qualités et par les défauts, il leur est plus aisé de s’accorder, et quand ils reviennent à leur nature, qu’ils oublient les préoccupations du moment, c’est vers nous que leur instinct et leurs souvenirs les ramènent. Ces dispositions bienveillantes, nous les avons retrouvées à Florence et à Rome, comme à Bologne, et il m’est impossible de ne pas adresser un remercîment à tous ces anciens amis, qui ont tenu à nous témoigner, dans les circonstances présentes, que les sentimens d’autrefois n’étaient pas changés.

Je crois donc que nous avons bien fait d’aller à Bologne. Il est bon, quand on a quelque chose sur le cœur, qu’on puisse se voir et se parler[1]. Un entretien de quelques heures, un serrement

  1. A ce propos, qu’on me permette d’adresser un petit reproche à ceux qui ont organisé les fêtes de Bologne. Peut-être la multiplicité des cérémonies a-t-elle empêché que les rapports entre les professeurs fussent assez nombreux. On n’a pas assez fourni aux délégués des divers peuples l’occasion de se voir et de se connaître. Songez que nous n’avons jamais été présentés officiellement aux professeurs de l’université de Bologne ; nous aurions pourtant beaucoup souhaité nous entretenir avec eux et avec ceux des autres universités italiennes. La situation de l’enseignement supérieur est, en Italie, à peu près la même que chez nous. Nous aurions bien voulu savoir si les mêmes institutions y produisent les mêmes résultats, ce qu’on fait pour les améliorer, si l’on ne songe pas à reprendre les projets de réforme de M. Bacelli. Sur ces projets, qui n’ont pas réussi, on peut lire un article intéressant de M. George Lafaye, qui a paru dans la Revue internationale de l’enseignement, le 15 novembre 1885.