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monarchique, un monarque révolutionnaire, un dictateur obéissant : Victor-Emmanuel conspirant pour la liberté avec Joseph Mazzini et Joseph Garibaldi. » Il ne manquait pas de gens autour de moi qui trouvaient que ces souvenirs n’étaient pas de nature à plaire au souverain qui écoutait, et qu’il eut été plus convenable de les lui épargner ; ils ajoutaient que, du reste, il n’y avait pas de raison d’en triompher, car ils sont la faiblesse de cette jeune royauté et lui créent des embarras dont elle aura peine à sortir. Ce n’est pas l’opinion des Italiens ; autour du roi, personne ne semblait choqué de l’audace de l’orateur, et, à la fin du discours, le roi lui-même lui a tendu la main de la meilleure humeur du monde. Après tout, M. Carducci n’a rien dit qui ne soit parfaitement exact. L’aristocratique maison de Savoie n’a délivré l’Italie que parce qu’elle a sans répugnance tendu la main à tous les alliés qui se présentaient. C’est ainsi que toutes les forces contraires qui fermentaient dans ce malheureux pays se sont unies pour la lutte ; le combat fini, elles ne se sont pas séparées, et il semble bien qu’en ce moment elles soient en train de se fondre. Quand on demandait au comte de Chambord de faire quelques concessions à l’esprit du siècle, il répondait : « Je ne veux pas être le roi légitime de la révolution. » Le mot est spirituel, mais la chose n’est guère politique. On peut dire, au contraire, que le problème des royautés modernes consiste à trouver un moyen d’unir des élémens opposés. Ne pouvant pas les supprimer, il faut bien les faire vivre ensemble. Je suis donc tenté de croire que la seule monarchie qui ait quelque chance de durer est celle où le souverain se fera de bonne grâce « le roi légitime de la révolution. »

Dans les discours prononcés à Bologne, il est naturel qu’on ait fait des allusions fréquentes à la domination pontificale : elle a pesé lourdement sur les Romagnes, et l’on comprend qu’elles n’en aient pas oublié le souvenir. Mais les orateurs ne se sont pas contentés de récriminer sur le passé, ils ont paru craindre pour l’avenir. Le ton dont ils parlent, quand ils se félicitent d’avoir échappé à la souveraineté des papes, laisse soupçonner qu’ils ne sont pas sûrs qu’elle ne sera pas un jour rétablie. C’est, je l’avoue, ce qui nous a un peu surpris. Il me semble qu’en Europe les hommes sensés de tous les partis se sont habitués à croire que ce qui est tombé en 1670 ne se relèvera plus. Le pouvoir temporel des papes était le dernier reste d’un régime qui a successivement disparu de partout. Le temps a emporté l’une après l’autre toutes ces dominations ecclésiastiques qui venaient du moyen âge, et n’avaient plus de raison d’exister dans les états modernes. Depuis longtemps celle des papes ne se soutenait que par des efforts de diplomatie et par le secours des armées étrangères. Quand ces