Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 88.djvu/625

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’on ne retenait qu’en les amusant et que la science mettait en fuite. L’association des étudians de Paris devait réussir : elle compte aujourd’hui plus de 2,000 membres. C’est à elle naturellement que l’invitation des Bolonais fut adressée, et elle décida d’y envoyer cinq délégués, avec son président.

De quelle manière allait-on les recevoir à Bologne ? Comment ces jeunes gens parviendraient-ils à sortir des embarras d’une situation délicate ? Entre des amis tièdes et des ennemis déclarés, n’étaient-ils pas exposés à se compromettre ? J’avoue que nous n’étions pas sans quelque crainte ; mais l’événement a prouvé que nous avions tort d’être inquiets. Il y a dans la jeunesse une générosité et une droiture naturelles qui la servent mieux quelquefois que toutes les finesses de la diplomatie. Tout s’est passé à souhait. Le hasard nous a fait arriver à Bologne en même temps que nos étudians, qui avaient rejoint notre train à Plaisance. La gare regorgeait de monde, et il y en avait encore plus sur la place. Ce n’est pas pour nous que cette foule était venue : on nous a laissés débarquer sans bruit, et nous avons eu grand’peine à trouver une voiture pour nous conduire à notre hôtel : on attendait les étudians. Dès qu’on les aperçut, ceux de Bologne se précipitèrent sur la voiture qui les amenait ; les Allemands, qui étaient venus aussi, — et il faut leur en savoir gré, — tirèrent leurs épées ; il se fit un tumulte épouvantable. Aux cris de : Evviva la Francia ! répondaient ceux de : « Vive l’Italie ! » Le drapeau tricolore, à peine déployé, fut salué d’acclamations frénétiques, saisi, serré, embrassé par les plus proches. Il faut dire que c’était l’anniversaire de Magenta. Je suppose que quelques-uns de ces jeunes gens s’en souvinrent. Ces souvenirs sont de ceux dont on se tait quand ils gênent, mais qu’il est bien difficile d’oublier.

Les étudians ont rendu le service d’animer de leur gaîté des cérémonies qui, sans eux, auraient paru peut-être un peu graves. On les a laissés aussi s’amuser pour leur compte : ils l’avaient bien mérité. A Casalecchio, dans une de ces villas charmantes qui entourent Bologne, on leur a servi un repas de mille couverts, où l’on a mangé le fromage de Pavie et bu le barbera de Turin. Le dernier jour, ils se sont donnés à eux-mêmes, aux portes de la ville, à Montagnola, une fête humoristique qui devait être fort amusante, si j’en juge par les applaudissemens et les éclats de rire dont l’écho arrivait jusqu’à nous.

Pendant que je prêtais l’oreille au bruit de cette gaîté lointaine, le passé me revenait à l’esprit. Il n’y a rien de plus facile que d’en évoquer les souvenirs quand on parcourt Bologne. La ville n’a pas dû changer beaucoup depuis le moyen âge ou la renaissance ; on l’a rajeunie, sans la modifier. Au milieu de la place Saint-Dominique,