Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 88.djvu/623

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais il faut que les professeurs en prennent leur parti : quelques honneurs qu’ils aient reçus à Bologne, le plus grand succès n’a pas été pour eux. On a encore plus fêté les écoliers que les maîtres, et personne, je crois, n’en a été ni surpris ni fâché. Les étudians bolonais avaient eu l’heureuse idée d’adresser une invitation à leurs camarades du monde entier : c’était une innovation, qui a été fort bien accueillie. Les étudians italiens d’abord sont arrivés en très grand nombre, et ils ne sont pas venus les mains vides : ils ont voulu apporter avec eux quelque produit de leur pays. A leur entrée à Bologne, on remarquait, sur un char, un fromage gigantesque, don des étudians de Pavie, suivi par un bœuf orné de bandelettes et prêt au sacrifice, qu’avaient amené ceux de Padoue. Mais ce qui attirait tous les yeux, c’était un magnifique tonneau de barbera, le meilleur vin du Piémont, envoyé par les étudians de Turin. Il s’avançait majestueusement, conduit par un Bacchus qu’accompagnaient des Baccbans et des Satyres. Le tonneau lui-même était une œuvre d’art qu’on avait décorée avec le plus grand soin. Un peintre du pays l’avait orné d’emblèmes bachiques, et il portait en grosses lettres ces vers, qui ont fait la joie des écoliers du moyen âge :


Ave, color vini clari,
Ave, sapor sine pari,
Tu nos inebriari
Digneris potentia !
Bibitores, exultemus
Vinum bonum quod habemus ;
Adaquantes condemnerus
Ad æternam tristitiam.


Les étudians italiens n’ont d’autre insigne qu’un berret dont la couleur change suivant la faculté à laquelle ils appartiennent. Les Allemands, comme on sait, portent un costume, et ils n’avaient eu garde de l’oublier. Ce costume, qui n’est pas le même dans les différentes universités, excitait la curiosité publique ; il était fort regardé et souvent applaudi. Ce n’est pas que par lui-même il soit toujours agréable à voir, et fait pour plaire dans un pays habitué aux belles figures de l’Albane et des Carrache. Je ne connais rien de plus étrange que de surmonter un habit noir et une cravate blanche d’une toque bizarrement empanachée, ou de couvrir une grosse face ronde d’une calotte plate. Mais ces costumes sont protégés par la tradition, et l’on a bien raison de n’y rien changer. La vie universitaire tient une si grande place dans la société allemande que tout ce qui la rappelle devient sacré. Le cœur bat au vieillard quand il revoit cette rapière qu’il se plaisait à brandir et cette toque