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peuple de 50 millions d’âmes, représenté par ses chambres et son exécutif élus.

Mais plus est élevé le rôle du pouvoir judiciaire, plus son indépendance doit être garantie. Faute de cette condition essentielle, il deviendrait bientôt l’instrument d’un insupportable despotisme. Le succès ou l’échec des combinaisons américaines dépend donc principalement des règles adoptées pour le recrutement de la magistrature et le choix des juges.


IV

« Tout notre système politique et chacun de ses organes, l’armée, la flotte et les deux chambres, tout cela, dit l’illustre philosophe écossais David Hume, n’est qu’un moyen pour atteindre une seule et unique fin, la conservation de la liberté des douze grands juges de l’Angleterre. »

Ces paroles typiques, comme l’a fait observer M. de Laveleye, peuvent s’appliquer également aux neuf grands juges des États-Unis. Sous une forme paradoxale, elles mettent bien en relief l’importance que les Anglo-Saxons des deux mondes attachent à la situation éminente de la magistrature et à l’administration impartiale de la justice.

Mais en Amérique, par un de ces contrastes qui s’y rencontrent presque à chaque pas, la magistrature touche aux deux extrêmes. Le pouvoir judiciaire fédéral, et surtout la cour suprême qui en est le couronnement, s’élève au plus haut degré de dignité et d’honneur ; le pouvoir judiciaire local paraît tombé dans une infériorité regrettable. Tandis que l’inamovibilité assure l’indépendance des tribunaux de l’Union, ceux des états particuliers, soumis au bon plaisir de l’élection populaire, deviennent trop souvent les instrumens des partis et les serviteurs très humbles des majorités du moment.

Ce n’est pas à la démocratie que les Américains sont redevables de leur cour suprême ; c’est à la sagesse des constituans, et un peu aussi aux circonstances. Les programmes franchement démocratiques n’admettent qu’une magistrature élective et révocable. Or, à défaut de combinaisons plus ou moins délicates, qui n’ont point été recherchées, croyons-nous, il ne se trouve pas de peuple fédéral proprement dit pour élire la cour suprême. Elle est nommée par l’exécutif et inamovible. Ce privilège aristocratique, inscrit dans la constitution même, ne pourrait être supprimé que par voie d’amendement, et l’on sait quels obstacles presque insurmontables en pratique s’opposent à toute modification constitutionnelle. Loin d’emprunter sa grandeur et sa force à l’application des théories radicales,