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prétend soumettre à leur contrôle la constitutionnalité de l’acte qui a provoqué sa mise en accusation. Les républicains, rejetant bien loin cette solution du différend, se refusent à admettre que la magistrature puisse s’interposer entre les chambres et l’exécutif.

M. Stanberry, l’un des avocats de l’accusé, soutient les droite de la cour suprême, « C’est en prévision de pareils antagonismes, dit l’orateur, c’est pour nous préserver de divisions funestes, que nos pères ont eu la sagesse d’instituer le pouvoir judiciaire comme l’arbitre souverain dans toutes les questions douteuses. » — « Non, réplique le sénateur Charles Sumner, l’un des chefs les plus respectés du parti républicain, notre cour suprême n’est pas l’arbitre des volontés législatives. Sa mission consiste à statuer sur des procès définis, mais nullement à siéger en cour de cassation des décrets parlementaires, ni à formuler des vetos tribunitiens. Un conflit entre une loi et la constitution doit être jugé comme tout conflit ordinaire entre deux lois. Aucune des attributions régulières de la cour ne lui permet de toucher aux actes du congrès, si ce n’est incidemment, et la sentence n’est obligatoire que pour les parties en cause. »

Ces divergences et ces chasses-croisés d’opinions déconcertent fort l’étranger. Les commentateurs Kent et Story, dont les ouvrages sont encore aujourd’hui classiques, estiment bien, à l’exemple des anciens fédéralistes, que le pouvoir judiciaire est l’arbitre en dernier ressort. Une haute valeur s’attache au témoignage d’aussi savans écrivains, tout pénétrés de l’esprit des institutions. Mais leur théorie, très correcte assurément, n’a pas reçu la consécration d’une pratique uniforme. La jurisprudence de la cour suprême est tantôt suivie, tantôt rejetée par les autres pouvoirs publics. Chacun d’eux, dans son domaine spécial, réclame et exerce au besoin le privilège d’interpréter la constitution. Les décisions judiciaires n’en conservent pas moins une grande influence sur tous. Rien ne le prouve mieux que l’empressement des partis à les invoquer tour à tour, afin de justifier leurs prétentions respectives.

D’ailleurs, si les chambres et l’exécutif ne se croient pas tenus de souscrire aux interprétations constitutionnelles adoptées par les juges dans les considérans de leurs arrêts, un point capital reste en dehors de toute discussion : l’arrêt même est souverain en l’espèce et obligatoire pour les parties, quelles qu’elles soient. C’est le nœud de la question ; car tout citoyen lésé par une loi dans les droits que la constitution lui garantit peut engager un procès en justice, et si les tribunaux lui donnent raison, la loi, déclarée inconstitutionnelle, ne lui est pas appliquée. L’autorité du jugement, même restreinte à la cause pendante, suffit donc pour que la