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collectives et irresponsables refusent de se soumettre pacifiquement au droit. Néanmoins, les bonnes doctrines ne disparaissent pas à jamais dans le naufrage. Les passions l’emportent pour un temps. Mais l’esprit public revient, après l’orage, aux idées saines, sauvées par la protestation du juge.

A chaque occasion qui leur est offerte d’intervenir, les tribunaux s’efforcent d’apaiser les discordes. Le pouvoir judiciaire fédéral, plus indépendant par sa situation même, se trouve surtout appelé, à jouer le rôle de médiateur. Il s’attache à concilier l’autonomie provinciale avec la prédominance nécessaire du gouvernement de l’Union. Dans cet équilibre sans cesse troublé, « c’est lui qui figure le centre de gravité de la république. »

Sous une forme ou sous une autre, la liberté commerciale entre les états est constamment attaquée. La cour suprême veille à la garantir, et s’appuie pour cela sur l’article de la constitution qui interdit aux états particuliers de grever d’aucune taxe le commerce intérieur. Aussi déclare-t-elle non avenue la loi du Maryland établissant une patente de 50 dollars sur tout marchand en gros d’objets importés dans l’état. Toujours au même titre, afin de supprimer les entraves qui pourraient gêner les transactions de province à province, elle réforme en appel un arrêt rendu par la justice locale et annule une loi de New-York, aux termes de laquelle MM. Livingstone et Fulton avaient obtenu le monopole de la navigation à vapeur sur les eaux de l’état.

Dans un procès plus important, la cour suprême est arbitre entre deux états souverains. Par un pacte conclu en 1789, le Kentucky et la Virginie s’étaient engagés réciproquement à confirmer la validité de tous les droits des particuliers sur les terres possédées par eux en vertu des lois antérieures à l’Indépendance. Plus tard, cependant, la législature du Kentucky croit pouvoir passer des actes contraires. Mais la cour suprême, appliquant au droit public les principes du droit privé, frappe de nullité les lois nouvelles, et décide que les conditions d’un pacte entre états sont aussi obligatoires que celles des contrats entre individus.

Après la guerre de sécession et le vote des amendemens qui en furent la suite, l’autorité du gouvernement central, grandie par la victoire, menaçait l’autonomie des états vaincus. La cour suprême prit leur défense, comme elle avait défendu jadis la suprématie fédérale en péril, et déclara dans une affaire célèbre (Slaughter Home case, avril 1873) qu’ils ne pouvaient être déchus des droits essentiels exercés jusque-là par eux. Les juges, envers et contre tous, restaient fidèles à l’ancien programme : « l’indestructible union entre les états indestructibles. »

Puis ce sont les mesures relatives à l’esclavage qui amènent