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dit à Jéroboam ; « Prends-en dix pour toi, » voulant signifier par là que Juda seul et Benjamin resteraient attachés au roi de Jérusalem.

La révolte n’était pas mûre encore. Jéroboam ne réussit pas à opérer un soulèvement effectif. Salomon essaya de le faire tuer ; Jéroboam réussit à se sauver en Égypte et trouva un asile auprès du roi Sesong. Mais les prophètes commençaient à parler haut. Le prophète Ahiah, de Silo, n’était sans doute pas le seul à battre des mains sur la prochaine ruine de toutes ces splendeurs, et à prédire que les tribus rurales auraient bientôt leur revanche.

La force d’Israël, en effet, la base même de sa conviction morale, étaient profondément atteintes. Cet éclat extérieur n’était obtenu que par des entassemens d’iniquités. La noblesse antique, la fierté de l’homme libre étaient perdues. Tous étaient serfs. Il y avait des riches, mais il y avait, aussi des pauvres. La lutte éternelle allait s’ouvrir ; c’en était fait de l’ancienne fraternité patriarcale. Et quel était le profil net de la révolution accomplie ? Que Jérusalem voyait d’assez brillantes parades ; que des milliers d’hommes gémissaient dans les carrières de Juda, dans les forêts du Liban, au fond des galères de la mer d’Oman, pour procurer à quelques satisfaits des habitations commodes et approvisionner les bazars de Jérusalem de joujoux de harem. C’était trop peu vraiment ; Ce n’est pas Salomon qui a écrit : vanitas vanitatum ; mais vanitas vanitutum est bien le résumé de son règne. Nul plus que lui n’a contribué à la démonstration de cette grande vérité, que tout ce qui ne contribue pas au progrès du bien et du vrai n’est que bulle de savoir et bois pourri.

C’est au milieu de ces-graves symptômes de dissolution que Salomon mourut, après avoir régné, comme son père, environ quarante ans. Il fut enterré à côté de David, dans les grottes royales situées au pied des rochers de la ville de David.

Si la destinée d’Israël eût-été la richesse, le commerce, l’industrie, la vie profane en un mot, Salomon eût été un fondateur ; il donna, en effet ; une assez brillante vie matérielle à une petite nation qui n’avait pas eu d’existence mondaine avant lui. Mais c’est toujours un rôle ingrat pour un souverain d’avoir travaillé au rebours de l’histoire. L’œuvre de Salomon fut viagère. Il n’en resta presque rien après lui. De tribus encore patriarcales, il avait voulu tirer sans transition une culture à la manière de Sidon et de Tyr. Dans l’état de civilisation d’alors, et surtout avec les dispositions morales du peuple Israélite, cet étalage de luxe et de caprice excita une terrible réaction. La mémoire de Salomon resta odieuse dans les tribus. Son harem fut l’objet d’amères railleries, et, dans les dialogues d’amour qu’on récitait ou chantait en certaines occasions, le sujet était toujours le même. Une jeune fille des tribus