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la monarchie elle-même. On faisait d’amères réflexions. On prétendait savoir les paroles que Samuel prononça quand le peuple vint lui dire : « Donne-nous un roi pour nous gouverner. » Le discours qu’on prêtait au vieux prophète était la satire anticipée du règne de Salomon : « voici, aurait dit Samuel, quelle sera la conduite du roi qui régnera sur vous. Vos fils, il les prendra pour cochers, pour palefreniers, pour courir devant son char, ou bien pour en faire des centeniers, des dizeniers, ou bien encore pour labourer ses champs, pour moissonner ses moissons, pour construire ses engins de guerre et ses chars. Vos filles, il les prendra pour en faire des parfumeuses, des cuisinières, des boulangères. Ce qu’il y aura de meilleur dans vos champs, vos vignes, vos plantations d’oliviers, il le donnera à ses serviteurs. De vos semailles et de vos vignes, il prélèvera la dîme, pour faire des gratifications à ses eunuques et à ses valets. Il prendra vos esclaves et vos servantes, l’élite de votre jeunesse et vos ânes, pour les appliquer à ses besognes. Il dîmera vos troupeaux, et vous serez vous-mêmes ses esclaves. Je dois vous prévenir, ajoutait Samuel, que, le jour où, mécontens du roi que vous vous seriez choisi, vous élèveriez vos cris vers Iahvé, Iahvé ne vous écouterait pas. »

On commençait à trouver que Samuel avait eu raison. A Jérusalem, tout se bornait à des murmures. Les turbulens chefs de bandes du temps de David, les Abner, les Joab, avaient disparu, La monarchie absolue avait affaibli les caractères ; personne n’osait lever l’étendard de la rébellion. Mais le travail matériel n’avait pas encore eu ses effets abrutissans ; l’esprit de fierté et d’indépendance vivait dans les tribus du Nord. Parmi les ouvriers qui travaillaient à la construction du Millo et du mur de Jérusalem, Salomon remarqua un vigoureux Éphraïmite, fils d’une veuve de Séréda, qui s’appelait Jéroboam, fils de Nebat. Il fut frappé de l’air de résolution avec lequel ce jeune homme faisait sa lâche, et il le mit à la tête des travailleurs de Joseph (c’est-à-dire d’Éphraïm et de Menassé). Il ne se doutait pas que, ce jour-là, il donnait un chef à la révolte[1]. Les joséphites ne se voyaient qu’avec rage, assujettis à de durs travaux, qui ne servaient qu’à la plus grande gloire de Juda et d’un roi qui leur était étranger. Jéroboam attisa le feu qui couvait et partit pour le Nord. A Silo, il se mit en rapport avec le prophète Ahiah, qui faisait la guerre la plus déclarée à Salomon. On raconta plus tard que, le prophète l’ayant rencontré sur la route, ils se trouvèrent tous deux seuls dans la campagne ; qu’alors Ahiah prit le manteau neuf qu’il portait, le partagea en douze pièces et

  1. L’arrangement anecdotique est trop sensible dans ce récit pour qu’on l’adopte à la lettre.