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L’arche était toujours à côté du palais royal, dans une situation provisoire. La tente qui l’abritait devenait chaque jour de plus en plus un sanctuaire palatin, où résidait la principale force de la royauté. Salomon y faisait de beaux sacrifices (oloth et selamim) ; ces sacrifices étaient suivis par les officiers de la maison, qui se livraient autour de l’autel à de somptueux festins. C’était comme une religion de cour ; le peuple, à ce qu’il semble, y prenait peu de part. Il eût fallu pour cela forcer les consignes du palais, ce qui à aucune époque n’a été facile pour le peuple. La politique de la dynastie ne pouvait manquer d’exploiter, en vue de ses idées centralisatrices, ce palladium à l’ombre duquel, en quelque sorte, elle était née.

La construction du temple paraît avoir été décidée du temps de David. Elle fut l’œuvre capitale de Salomon. Le monde, vers l’an 1000 avant Jésus-Christ, était en train de se couvrir de temples. Tyr avait l’avance dans les pays sémitiques, et possédait des béthélim, sans doute imités des temples égyptiens. L’idée de loger Iahvé autrement que sous la tente, surtout quand le roi demeurait dans une maison de grandes pierres, s’imposait en quelque sorte. L’airain était employé avec prodigalité dans les temples tyriens de cette époque. Or, David avait conquis dans ses guerres contre les Araméens et les autres populations de la Cœlésyrie de grandes richesses métalliques. Tout était mûr pour donner a Iahvé la récompense à laquelle les dieux protecteurs de ce temps-là tenaient le plus : une maison à part où leur majesté résidât et où ils fussent seuls adorés.

Pour l’emplacement de l’édifice, Salomon choisit l’aire de l’Arevna ou Averna, sur laquelle il y avait déjà un autel à Iahvé, érigé à propos d’exhalaisons pestilentielles qu’on prétendait sortir de ce lieu. Ledit emplacement était tout à fait voisin de la citadelle et du palais. Un terrassement offrit aux constructions une base solide et exactement nivelée. On ne visa nullement alors à ce que le temple se dégageât et fit perspective. L’édifice, en forme de rectangle, couvrait l’espace actuel de la mosquée d’Omar. De tous les côtés, il était serré par d’autres constructions. L’entrée était du côté de l’Orient. L’édifice se trouvait ainsi très peu en rapport avec la ville. Au contraire, dans tout l’agencement de l’œuvre, le lien avec le palais est visible. Le roi a son grand escalier à part, son estrade, pendant les sacrifices ; tout est disposé pour que le roi trône et fasse de l’effet. Jamais édifice ne fut moins national ; c’est un temple domestique, une chapelle de palais, non le temple d’un grand peuple ou d’une cité ayant en elle-même un énergique principe municipal. Il faudra des siècles pour que cet édicule devienne un centre de vie et un objet d’amour.