Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 88.djvu/558

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

autres, il y avait ce qu’on appelait « la forêt du Liban. » Le rez-de-chaussée de ce singulier édifice présentait, en effet, l’aspect d’une forêt. Qu’on se figure une cour rectangulaire, comme la grande construction d’Hébron, en pierres colossales, avec une seule porte, presque sans fenêtres. Quatre rangs de colonnes de cèdre, dressées parallèlement au mur, dessinaient de chaque côté quatre allées. Ce promenoir, recouvert d’un plancher, servait de supporta trois étages de chambres qui montaient le long du mur. Il y avait quinze chambres à chaque étage, en tout quarante-cinq. Les fenêtres étaient encadrées de linteaux de cèdre. De telles constructions devaient rappeler beaucoup les maisons d’Asie-Mineure, construites en bois entrelacés, avec un gros mur pour appui.

« La forêt du Liban » était un arsenal. On y conservait deux cents grands boucliers et trois cents petits boucliers dorés, armes de parade destinées aux gardes, qu’on ne leur livrait que les jours où ils devaient en faire usage.

Rien, dans notre art moderne, ne saurait donner une idée du style de ces constructions bizarres, présentant le contraste des masses les plus lourdes et des accessoires les plus légers, sortes d’appentis, parfois à plusieurs étages, accolés à des murs colossaux. Les bois de premier ordre que Jérusalem tirait de Liban donnèrent à ses constructions un caractère que ne connurent ni l’Egypte ni la Grèce. Un seul bloc de pierre formait toute l’épaisseur du mur ; aussi le bloc était-il lavé sur toutes ses faces, avec un soin extrême. Il n’y avait pas de parties négligées. Les bases étaient on pierres de huit ou dix coudées ; les assises supérieures en pierres plus petites, à refend, toutes égales, rangées selon le mode que les Grecs appelaient isodome. Un type parfait de ce genre de bâtisse est la grande enceinte d’Hébron, qui n’est peut-être que l’armature extérieure d’un palais, analogue à celui que, du temps de Salomon, on appelait « la forêt du Liban. »

Outre ses grandes constructions de Jérusalem, Salomon paraît s’être fuit bâtir des maisons de plaisance dans le Liban, peut-être dans la vallée du Jourdain supérieur, du côté de Hasbeya. C’est ce qu’on appelait « les Délices de Salomon. » La vie humaine, la vie sémitique, du moins, avait été jusque-là si austère, que ce fait d’un homme ne se refusant aucun caprice, parut quelque chose d’étrange, de nouveau, presque d’impie. On se figura comme un âge d’or matérialiste, d’éclat trompeur, ce temps « où l’argent fut à Jérusalem aussi commun que les pierres, où les cèdres y furent aussi nombreux que les sycomores de la plaine. » On accumula comme en un rêve tout ce que le luxe enfantin comporte et aime : or, pierres précieuses, parfums, vases ciselés, chevaux, chars, riches vêtemens. Une légende naquit, pleine à la fois de