Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 88.djvu/555

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

leur paraissaient de profonds abaissemens dans l’ordre moral. Salomon n’avait aucun égard pour ces fanatiques et les tenait soigneusement éloignés de ses conseils ; mais les fanatiques savent attendre.

Ce qui, en effet, donnait raison aux adversaires de la royauté, c’est que les mœurs subissaient une grande altération. Le roi était très adonné aux femmes. Son harem était immense ; on parlait de sept cents femmes en titre, nommées saroth, « dames, » de trois cents concubines, esclaves achetées, servantes des saroth. Les calculs les plus modérés allaient à soixante reines, quatre-vingts concubines, et des alamath non comptées. Salomon fut, en particulier, très porté vers les femmes étrangères. Outre la fille du roi de Tanis, il aima des femmes moabites, ammonites, édomites, sidoniennes, hittites. Or, quoique, à cette époque, les règles rigoureuses qui furent faites plus tard sur les mariages mixtes n’existassent pas encore, les vrais Israélites voyaient de tels mariages de mauvais œil. Les zélés de Iahvé prétendaient que les femmes étrangères, gardant leur culte dans le sein de la famille israélite, étaient pour leur mari des causes perpétuelles de prévarication. Or on remarquait avec scandale que c’était à ces femmes que Salomon donnait tout son cœur. Dans sa vieillesse, nous les verrons prendre sur lui un ascendant extrême et l’amener à une sorte d’oubli du culte de Iahvé.


III

Les édifices de Jérusalem furent l’œuvre de Salomon la plus admirée, celle qui frappa le plus les contemporains et la postérité. Les constructions de David s’étaient bornées à peu de chose ; grâce aux richesses et à l’activité de son successeur, Jérusalem put rivaliser avec les villes égyptiennes et les villes phéniciennes les plus brillantes. Rien de très original ne caractérisa cette éclosion d’art. L’Egypte donna les modèles ; Tyr fournit les tailleurs de pierre, les architectes, les ornemanistes, les fondeurs de bronze. Mais l’époque était bonne. Un style, sévère dans les ensembles, très élégant dans les détails, s’était formé en Phénicie, sous l’influence de l’art égyptien. Des murs lisses, très soignés, en formaient l’âme. Des revêtemens de bois sculpté et doré, d’innombrables appliques d’airain, une vigoureuse polychromie, de riches tentures, donnaient à ces constructions infiniment de grâce et de vie.

Le sous-sol de Jérusalem fournissait des pierres excellentes, le maléki, calcaire dur, encore si estimé aujourd’hui. Mais le bois de construction que produisait la Judée était médiocre. Un traité de commerce fut conclu entre Hiram et Salomon. Les espèces métalliques étaient rares, et l’échange direct dominait