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Quelque chose émergeait de ce chaos de sophistique. Telle idée qui nous paraît maintenant arriérée a pu être autrefois en progrès sur le passé. Les vieilles langues sémitiques impliquaient un sentiment de justice mal analysée, un principe de moralité grossière, mais forte. Le crime était considéré comme une énormité contre nature, qui entraînait fatalement la peine. Peu à peu, on arrivait à faire une part aux divinations intuitives. L’art de rendre la justice, de discerner promptement et sûrement le vrai coupable, passait pour un don divin, pour une part de la sagesse qui vient de Dieu. La légende supposa que Salomon avait excellé en ce genre ; elle n’avait peut-être pas tort. Les gouvernemens très égoïstes aiment à se montrer justes, quand leur intérêt n’est pas en cause ; l’intelligence qui sert à faire réussir un calcul politique peut aussi servir à trouver avec sagacité le nœud d’une cause compliquée.


II

Ce qui caractérisa le règne de Salomon, ce fut la paix. Les Philistins, alliés de la dynastie nouvelle, et avantageusement employés par elle comme mercenaires, n’étaient plus tentés de passer la frontière. L’armée conserva l’organisation du temps de David, naturellement en s’affaiblissant, comme cela arrive pour toutes les organisations militaires. Ni Juda ni les autres tribus ne virent, durant quarante ans, un visage ennemi.

L’affaiblissement militaire ne se fit sentir que dans la zone des pays tributaires du royaume. Hadad ou Hadar, l’Édomite, le vaincu de Joab, qui s’était réfugié en Égypte, ayant appris la mort de David, et surtout celle de Joab, quitta le Pharaon, dont il avait épousé la belle-sœur. On ignore les détails de cette guerre, qui ont été supprimés à dessein par les historiographes hébreux, sans doute parce qu’ils n’étaient pas à l’honneur de leur nation. On sait seulement que Hadad brava Israël pendant tout le règne de Salomon, qu’il lui fit tout le mal possible, et qu’il fut souverain indépendant au moins d’une grande partie d’Edom.

Un adversaire encore plus redoutable fut Réson, fils d’Éliada, guerrier araméen, qui, après la défaite de son maître Hadadézer, roi de Soba, avait rassemblé autour de lui ceux qui s’étaient sauvés devant l’épée de David. Peut-être, avant la mort de David, avait-il réussi à tenir la campagne avec ces bandes aguerries. Un coup de main heureux mit entre leurs mains la ville de Damas, et ils réussirent à s’y maintenir. Pendant tout le règne de Salomon, Réson ne cessa de guerroyer contre Israël. Le royaume de Soba, néanmoins, ne paraît pas s’être rétabli. Damas devint désormais le centre unique de l’Aramée voisine de l’Hermon.