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Outre ces prestations en nature, il y avait des impôts directs, des douanes sur les trafiquans et le transit des caravanes, sans parler des tributs payés par les rois vassaux. On n’a sur tous ces points que des renseignemens obscurs, des hyperboles trahissant l’ignorance de chroniqueurs bornés, pour qui ces choses administratives sont insolites et qui les voient avec les yeux grossissans de l’étonnement. Il faut même ici faire une grave réserve. Nous n’avons pas pour l’histoire de Salomon, comme pour l’histoire de David, de pièces originales. Une partie du récit est empreinte d’un sentiment malveillant, où perce l’intention de présenter Salomon tantôt comme un tyran machiavélique, tantôt comme un roi avide et prodigue, pressurant son peuple pour l’entretien d’un harem monstrueux et d’une table de Gargantua. Si l’histoire, telle qu’elle est racontée au premier livre des Rois, était vraie, le gouvernement de Salomon aurait été un des plus rudes et des plus tyranniques qui aient existé. Les personnes étrangères aux affaires (et notre historien est sûrement un naïf au premier chef) ne comprennent rien aux impôts, aux finances, aux charges d’un état. Les dépenses les mieux justifiées leur paraissent des fantaisies de souverain. Le contribuable d’esprit simple (et combien y en a-t-il ? ) croit que l’argent qu’il paie au souverain, le souverain le dépense, comme il ferait lui-même, en bombances et en plaisirs. L’historien de Salomon dont nous parlons décrit avec prolixité des prodigalités puériles ; à côté de cela, il mentionne d’un mot et comme en passant des dépenses parfaitement sérieuses (villes rebâties, docks, magasins, arsenaux, ports, haras, organisation de certaines branches de commerce).

Nous qui savons comment les choses se sont passées à la suite du règne de Louis XIV, nous voyons bien que ces brillans développemens de puissance monarchique sont à double visage. Avantageux pour une partie de la nation, ils pèsent lourdement sur l’autre partie. Les uns en souffrent, les autres en profitent. De là toujours deux courans contraires de jugemens historiques sur ces grands faits. Salomon fut, évidemment, détesté des uns, admiré des autres. L’opinion des contribuables s’est traduite par le ressentiment des prophètes et des historiens sacrés, chez lesquels perce une opposition sensible contre le roi profane et dur au peuple. Il était cruel pour ces fiers Israélites des tribus du Nord, qui n’avaient jamais subi aucune domination, d’être ainsi traités en gens taillables et corvéables à volonté. Cela était d’autant plus pénible que la ville de Jérusalem et la tribu de Juda bénéficiaient seules de ces charges imposées à la nation. L’état, quand il fait son apparition dans une société, coûte toujours cher et se présente sous une forme très vexatoire. Les populations, décimées ou affamées pour les plaisirs et les grandeurs de Louis XIV, ne pouvaient voir qu’elles