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rité républicaine divisée et embarrassée, a cru pouvoir payer de hardiesse, et dans sa réponse à M. Flourens, et dans sa réplique à M. Waldeck-Rousseau, qui s’est chargé de raconter cette histoire, qui l’a racontée avec autant d’art que de fermeté. M. Floquet a mis son habileté à déplacer la question, à laisser entrevoir une crise ministérielle à la veille des vacances ; il n’a pas craint de braver, de défier ses adversaires, et il a eu le vote de confiance qu’il désirait. Et après ? La moralité de cet incident n’est pas moins tout entière dans ce rapprochement qu’a fait M. Waldeck-Rousseau : il y a un magistrat qui n’a commis aucune faute, qui seul peut-être a rempli son devoir, — il a été frappé ! Il y a un maire qui a commis des actes dont un seul justifierait sa révocation, — il est encore en fonction ! C’est là le fait. Et dire cependant qu’un siècle après la révolution française, sous la république, on en est là, qu’il n’y a pas plus de garantie pour l’inviolabilité du suffrage public que pour la dignité de la justice ! C’est, on en conviendra, un étrange progrès des idées de libéralisme, de légalité, et ce progrès on peut l’inscrire, si l’on veut, dans les discours qu’on prononce aujourd’hui même pour la célébration du nouveau 14 Juillet !

Est-ce que M. le président du conseil, qui prétend résumer et représenter toute la politique aujourd’hui, prend ses caprices d’omnipotence pour des règles de gouvernement, et croit fortifier la république par des complaisances pour toutes les factions ou par des vexations puériles ? Il peut flatter des passions vulgaires, il peut rallier momentanément l’armée bariolée de tous ceux qui ne rêvent qu’une agitation indéfinie ; en réalité, il ne fait que compromettre de plus en plus la république, et il n’est même pas pris au sérieux lorsqu’il déploie tout le luxe de l’arbitraire contre une simple lettre écrite par un prince exilé. Qu’est-ce à dire, en effet ? M. le comte de Paris a cru devoir écrire une lettre qu’il a adressée à tous les maires de France, et où il expose des idées qui sont dignes de son esprit sérieux, qui pourraient néanmoins être étudiées, discutées et peut-être rectifiées, dans l’intérêt même de la cause libérale et conservatrice. Dans tous les cas, cette lettre n’a rien de factieux ni par la forme ni par le fond. En adressant sa lettre aux maires, M. le comte de Paris n’a fait que ce que tout le monde peut faire ; les idées qu’il exprime, il est libre de les exprimer, et ce n’est pas M. de Freycinet qui contesterait cette liberté, lui qui, ministre des affaires étrangères, à propos de la loi d’exil, reconnaissait « aux partis monarchiques le droit de préparer l’avènement de la monarchie, » lui qui reconnaissait également aux princes « le droit d’affirmer leurs prétentions. » N’importe : M. le président du conseil, ministre de l’intérieur, réveillé en sursaut par cette révélation soudaine, s’est hâté de mettre sa police en campagne, de faire saisir la lettre de M. le comte de Paris à la poste, d’intercepter les correspondances, même les correspondances privées. Il ne s’est pas borné à faire ses saisies à la poste ; il a envoyé