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passe-t-il réellement ? Il n’en est ni plus ni moins. Il n’y a pas plus de budget aujourd’hui qu’hier, et M. le ministre des finances, dans les projets soumis à la commission parlementaire, qui aura le temps de les étudier pour la session d’automne, n’a sûrement pas trouvé le secret d’éteindre les déficits, de ressaisir un équilibre toujours fuyant. Les lois qu’on discute et que la chambre vote, telles que la loi sur les risques professionnels des ouvriers, semblent conçues uniquement dans un intérêt de popularité vulgaire. Les affaires du pays, en un mot, deviennent ce qu’elles peuvent, administrées et gouvernées par les passions de parti, sous un ministère plus que jamais radical, qui semble n’être au pouvoir que pour résumer et aggraver les fautes, les violences, les désordres accumulés depuis quelques années dans notre vie française.

Ce ministère qui règne aujourd’hui n’a point sans doute inauguré le système : il l’a perfectionné, il le perfectionne tous les jours, et depuis qu’il est au pouvoir, il a eu déjà le temps de montrer et sa présomptueuse violence et son insuffisance dans les affaires sérieuses. Ce qu’il y a de curieux chez ces républicains, grands libéraux jadis, prêts aujourd’hui à tous les abus d’autorité, c’est qu’ils semblent n’avoir pas même une idée de ce que c’est que la loi, des conditions d’un gouvernement régulier, des garanties les plus simples, les plus inviolables des libertés publiques. Pour eux, la fraude même est innocente, si elle peut être utile à la cause ; la seule règle, l’unique loi, la mesure de tout, est l’intérêt du parti, l’intérêt de la domination radicale. Tout ce qui sert le radicalisme et les radicaux est permis ; tout ce qui peut les troubler dans leurs calculs ou les menacer dans l’arrogance de leur règne devient illicite et coupable. Si c’est le sénat qui prend la liberté de résister à quelques excès, qu’à cela ne tienne : on le traitera en assemblée factieuse qui empêche de gouverner, on préparera la révision pour arriver à la suppression du sénat ! Si c’est un magistrat qui fait son devoir à l’égard d’un radical, on lui infligera une disgrâce bien appliquée, à titre d’avertissement pour l’avenir. Si c’est un prince qui écrit une lettre inoffensive expédiée aux maires, Oh ! alors, c’est bien plus simple ; on ne se gêne pas avec un prince : on saisit sans plus de façon ce qu’il écrit, on entre chez ses amis, on perquisitionne du droit de la haute police. Les radicaux sont arrivés à se faire un système commode d’arbitraire administratif qui leur permet d’avoir toutes les faiblesses pour leurs amis, en réservant toutes les rigueurs, même les vexations illégales à leurs adversaires. C’est la tradition nouvelle, et un des plus curieux exemples de cette altération de toutes les idées de gouvernement est à coup sûr cet incident à la fois sérieux et presque comique, baroque et instructif, qui a retenti récemment dans les deux chambres, qui s’est produit à l’occasion d’un maire de Carcassonne, méchamment condamné et emprisonné.