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par un homme à qui le Conservatoire a enseigné les scrupules de l’articulation, par un homme à qui la nature a donné une voix de ténor :


Le morceau de velours qui couvre ce front pur !


C’est délicieux ! .. A présent, supposez la pièce en prose. Quel effet, je vous le demande, produira la fin de cette phrase : u Malheur à qui portera la main sur le morceau de velours qui couvre ce front pur ! » Ce n’est plus la colombe qui vole : plumée de ses e muets, privée de ce double frisson qui plane, — un son doux et vibrant à l’hémistiche, un son clair et vibrant à la rime, — la proposition est compacte et inerte : c’est la poule au pot.

Qu’est-ce donc que ces défiances, dont nous parlions tout à l’heure, qui vont moqueusement à l’encontre du drame et de la comédie en vers ? Il est temps de s’expliquer là-dessus. A l’encontre du drame, c’est l’appréhension de quelque tragédie nouvelle. Des mondains, avec ostentation, et de bons bourgeois, avec franchise, déclarent qu’ils s’ennuient terriblement à la tragédie classique. Le collège les en a dégoûtés. Il a recouvert ces chefs-d’œuvre, à leurs yeux, d’une crasse uniforme ; un travail personnel pour les nettoyer, pour en retrouver les beautés, pour les comprendre, où donc l’auraient-ils entrepris ? Au club ou au bureau ? Agamemnon, Horace, Mithridate, pour eux, ne sont pas, comme pour les illettrés, de grands personnages qui « parlaient comme ça ; » ils ne sont pas non plus, comme pour les lettrés, l’Agamemnon, l’Horace et le Mithridate qu’ont rêvés nos aïeux du XVIIe siècle : ils ne sont que des automates déguisés, qui déclament à l’envi de vieux pensums. Or, du temps où l’on se préparait au baccalauréat on a retenu ceci : Corneille et Racine sont des êtres surhumains ; leurs tragédies sont évidemment ce qui peut se faire de mieux dans ce genre… Jugez un peu de ce que sera une tragédie nouvelle ! — Et sur ce point, qu’elle sera pire, les plus grands clercs sont d’accord avec les profanes. Non-seulement ils savent qu’il y a peu de chances de rencontrer un génie égal à celui de Racine ou de Corneille ; mais, quelque admiration, quelque amour qu’ils aient pour l’art classique, ils savent qu’une imitation de ses vivans et immortels chefs-d’œuvre ne serait qu’une œuvre mort-née ; ils savent que, pour marcher désormais derrière cet Agamemnon, cet Horace ou bien ce Mithridate, un autre Grec, un autre Romain, un autre Asiatique ne devrait pas être façonné d’après ce modèle, mais créé d’après une idée présente, une idée nouvelle de l’Asiatique, du Romain et du Grec ; ils savent que, plus l’histoire apporte de documens sur les caractères, les mœurs, le langage de ces anciens, plus il devient difficile de réaliser et d’animer cette idée : — plus la matière est abondante et fine, plus il faut d’énergie et de