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Au-dessus des touffes de rosiers se profilaient des bosquets d’arbres au feuillage doucement ondulant, aux troncs saupoudrés de lumière. Au milieu, un bassin de marbre blanc où trônait Neptune avec son trident. Un peu plus loin, le regard s’enfonçait dans un dédale vert doré de bois ombreux, de colonnes de sapins rougeâtres, et de sentiers sinueux et obscurs qui invitaient les pas à s’y égarer.

Maintenant, le ciel était bleu et sans nuages. Le ciel rayonnait. De tous côtés, on entendait la voix joyeuse des oiseaux. Des torrens de lumière se répandaient dans l’air calme et embaumé de l’âpre senteur et de l’humide fraîcheur qui suivent une nuit d’orage.

Dans le lointain s’étendait, en une pénombre bleuâtre, le riche feuillage de la forêt voisine. Des vagues paisibles du fleuve qui se déroulait à travers les prairies comme de l’or roulant s’élevait comme une faible musique harmonieuse. Un aigle paraissait reposer dans les hauteurs de l’éther luisant. De toutes parts s’élevaient des cris, des chants, et le tintement des sonnettes des chevaux dans les pâturages. Tous les êtres semblaient se réjouir dans la splendeur du jour nouveau, et mieux goûter le bonheur de vivre après la tempête de la veille.

Kajetan m’apporta le déjeuner dans un petit berceau où je m’étais assis pour jouir de ce charmant réveil de la nature. Mon cocher préparait les chevaux.

— Est-ce que je ne verrai plus M. Serbratowitsch ? demandai-je au vieux serviteur.

— Mais si, répondit Kajetan ; il vient de se lever, et il sera ici tout à l’heure.

— J’en suis bien aise. J’aurais regretté de partir sans prendre congé de lui, et sans le remercier moi-même.

Kajetan sourit.

— Vous ferez un agréable voyage, monsieur, par ce beau temps, et vous serez heureux de constater que l’orage n’a pas fait de grands ravages dans les champs.

Au moment où ma voiture s’avançait, M. Serbratowitsch apparut sur les marches du perron, me salua de la main, et descendit lentement. Je me hâtai au-devant de lui, pour le remercier cordialement une fois encore.

— Je vous en prie, ne parlons pas de cela, vous me rendriez confus, dit-il. Figurez-vous ce que j’éprouverais si je savais mon Ermogène en pleine campagne par un temps pareil à celui qu’il a fait hier… Est-ce que vos parens vivent encore ?

— Oui, monsieur, merci.

— Que Dieu vous les conserve encore longtemps, mais c’est le