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LE FOU DE FIRLEIOUWKA.

Je regagnai ma chambre, profondément remué par tout ce que je venais de voir et d’entendre. Par la fenêtre ouverte entrait librement la fraîcheur du soir, avec l’haleine odoriférante des fleurs et des arbustes épanouis. La profonde et sainte paix de la nuit régnait sur toute la nature.

Les arbres noirs du jardin se dressaient comme des fantômes n’osant pas pénétrer dans la calme sphère d’enchantement de cette maison, autour de laquelle planaient les bons esprits de l’heure de minuit.

Tout était plongé dans le sommeil, rien ne remuait, pas une feuille, pas un brin d’herbe. Seul, le fleuve poursuivait sa course dans le lointain, sans repos, se plaignant doucement. À la vaste voûte du ciel continuait de briller, avec un éclat consolateur, l’innombrable multitude des étoiles. Des hauteurs bienheureuses où elles étaient suspendues, elles répandaient sur la terre une clarté magique, tissant des fils reluisans, vibrant d’une branche à l’autre. Avec toutes ces lumières et les ombres qui alternaient à sa surface, le ciel semblait une immense voûte d’ébène incrustée d’or, Lentement à l’horizon s’élevait un nuage dans une majesté sombre, un nuage qui semblait un navire enchanté aux voiles gonflées…

Combien avait changé l’aspect du château et du jardin quand je m’éveillai le matin, et quand je descendis les marches qui conduisaient dans la cour.

La vapeur du matin s’étendait partout. Cette musique vague de la nature qui salue le jour nouveau vibrait dans l’air pur. Derrière moi s’élevait cet édifice de pierres grises du temps de Sobieski, maintenant couvert de lierre jusque sous les combles. Deux tours rondes, où circulaient gaîment des corneilles d’église, surmontaient le toit. Sur la façade, un grand balcon avec un treillage garni de plantes grimpantes et de fleurs.

Dans l’écusson seigneurial sculpté au-dessus de la porte, les hirondelles avaient fait leurs nids.

Les fenêtres étincelaient. Une épaisse fumée bleuâtre s’élevait d’une des cheminées, et allait se dissiper, en tourbillonnant, dans l’espace.

Devant le perron s’étalait une petite pelouse, avec son gazon d’un beau vert luisant. Un peu plus loin, le jardin, avec ses fleurs multicolores, couvertes de rosée, que les premiers rayons du soleil commençaient à iriser. Au-dessus des fleurs planait un monde vivant et bourdonnant, non moins varié et bigarré, d’abeilles, de bourdons, de mouches dorées et de papillons innombrables.

Sur le sable de l’allée principale, un vieux chien de chasse était étendu, réchauffant ses membres endoloris aux rayons bienfaisans du soleil.