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LE FOU DE FIRLEIOUWKA.

tiques, tantôt de vieux cadres dorés, des toiles où coquetaient des beautés tout à fait rococo, des statues de marbre, de vieilles panoplies envahies par la rouille, ou la peau velue d’un ours brun.

Enfin, le vieux serviteur souleva une lourde portière de soie bleu foncé, et me fit entrer dans une pièce formant un carré régulier.

Au milieu, sur le tapis qui couvrait complètement le parquet, était placée une grande table à écrire, chargée de livres, de cartes, de papiers, et dont le seul ornement était un crucifix, un christ en ivoire suspendu à une croix d’ébène. Devant cette table, un fauteuil recouvert de cuir frappé, où, tournant le dos à l’entrée, était assis un vieux monsieur occupé à écrire.

Une paix si solennelle, si étrangement imposante, régnait dans cette pièce, que je m’arrêtai, n’osant plus faire un pas en avant. Je promenais mes regards étonnés sur les grandes armoires remplies de livres, de minéraux, de scarabées et de papillons, sur le télescope près de la fenêtre, sur le hibou empaillé, avec ses yeux jaunes en verre, sur les joujoux éparpillés parmi ces curiosités, et enfin sur deux portraits, de grandeur naturelle, placés en face de la table à écrire.

Le premier représentait une femme dont la figure fine, éclairée d’une merveilleuse clarté intérieure, et l’expression touchante du regard, avaient un charme indicible. Son corps, comme une fleur délicate, semblait frissonner dans sa jaquette de fourrures. Ce velours et les peaux précieuses formaient, avec ses cheveux légèrement ondulés, avec sa carnation rose et tendre, et sa bouche entr’ouverte, une rare harmonie de distinction et de suavité.

À côté d’elle, le portrait d’un beau jeune garçon dont le front était couvert de boucles d’un blond foncé, très frisées, et dont les grands yeux rêveurs semblaient appartenir à un autre monde. Dans ses traits de chérubin se manifestaient la même clarté spirituelle, le même calme dans l’expression du sentiment passionnel, la même douceur tendre et délicate que dans les traits de la femme. Pourtant, les lèvres de l’enfant se voûtaient avec une sorte de défi mâle, et le menton arrondi et accentué annonçait un caractère énergique et ferme. Il paraissait plein de vie. Il me semblait que j’allais voir cette large poitrine se soulever et respirer sous le velours noir et le grand col de dentelles du temps de Van Dyck.

Enfin, le vieux monsieur déposa sa plume et tourna la tête.

— Pardon, monsieur, si je vous dérange.

— Oh ! pas du tout, répondit-il en se levant et en se tenant debout un instant. Soyez le bienvenu.

Il me tendit la main et ne se rassit que lorsque je fus installé sur une chaise garnie de paille qui se trouvait à côté de la table.