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puisqu’il acceptait le titre de restaurateur de la liberté. La rénovation était donc certaine. L’horizon des Français s’étendait avec leurs espérances. En se donnant une constitution, n’allaient-ils pas préparer celle qui assurerait le bonheur du genre humain ? On croyait marcher vers l’âge d’or. Plus les misères avaient été cruelles et plus l’optimisme était général.

Les états-généraux s’ouvrirent sous cette impression ; à peine altérée par les hésitations de la cour, elle fut confirmée par la réunion des ordres, surexcitée par la prise de la Bastille, et portée à son comble par la nuit du 4 Août. En sacrifiant sur l’autel de la patrie ses privilèges et ses droits, la noblesse se portait témoin des enthousiasmes auxquels nul n’échappait. Rien ne peut peindre cette « tempête de désintéressement. » Toutes les générosités de 1789 sont là.

Mais, au lendemain, que d’imprudences ! Les utopies d’égalité envahissent l’esprit des constituans. La Déclaration des droits de l’homme, toute pleine des maximes d’une philosophie spéculative, est faite pour enivrer les foules. C’est elle qui contenait en germe l’égalité absolue, l’omnipotence du peuple ; bientôt la constituante repoussait les deux chambres, entrait dans la voie qui menait à la constitution civile du clergé et suspendait les parlemens. Elle rendait inévitable la succession de fautes qui devaient précipiter la France vers la Terreur.


VI

Elle fit plus encore, en nous léguant, à nous, ses héritiers, un siècle de révolutions. Tous les événemens dont nous gémissons découlent de la même source, sont issus des mêmes idées fausses.

Souveraineté du peuple ! omnipotence d’une assemblée unique ! voilà les premières et les plus dangereuses utopies. Elles se tiennent intimement. Si le peuple est souverain, si ses délégués sont omnipotens, l’assemblée est investie d’une autorité sans bornes. Qui nous préservera des excès de pouvoir ? Un chef d’empire dont la puissance est sans limite révolte nos âmes ; nous protestans contre la tyrannie, parce qu’elle supprime notre initiative, nous enlève ce qui fait notre dignité et notre énergie. Devant un souverain qui peut tout, l’individu est le jouet du caprice. Il a besoin de justice, et il est victime de l’arbitraire. Partout où s’est développée l’intelligence humaine, elle a lutté sans relâche contre toutes les formes de la servitude.

Qu’importe à l’individu opprimé que la toute-puissance soit exercée par un prince ou par une assemblée ? César se proclame le