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prompte que celle que firent dans l’opinion les arrêtés de Vizille. M. Mounier, qui en avait été le rédacteur, eut en quinze jours une étonnante réputation[1]. » Le procès-verbal de l’assemblée, répandu par toute la France, y excita en effet une émotion indicible. En un instant, tout ce que souhaitait l’opinion, tout ce qu’elle cherchait au milieu du désarroi général, lui apparut sous une forme précise. Les sentimens les plus nobles qui entraînaient tous les ordres de l’état avaient trouvé leur formule.

A Versailles, le contre-coup fut tel, qu’en peu de jours tout changea. Le 2 août, douze jours après l’assemblée de Vizille, le roi convoquait à Romans les trois ordres du Dauphiné. Le 8 août, la cour plénière était suspendue et les états-généraux étaient convoqués pour le 1er mai 1789. Brienne essayait encore de ressaisir le pouvoir et de se. Venger : il venait d’ordonner l’arrestation de Mounier et du comte de Morges, quand il fut lui-même renversé et remplacé par Necker. Un mois après la tenue de l’assemblée, que d’un bout à l’autre du royaume la reconnaissance publique nommait « les états de Vizille, » le Dauphiné avait recouvré ses antiques assemblées, la France ses états-généraux, et la monarchie avait rappelé dans ses conseils le seul ministre qui pût encore la sauver.


IV

Quel était donc le trait particulier des résolutions prises à Vizille ? Les états-généraux avaient déjà été réclamés par tous les parlemens, le libre vote de l’impôt, la liberté individuelle proclamés dans toutes les remontrances. Les mots sont les mêmes, les idées semblables. D’où vient le retentissement prolongé et la puissance incomparable de l’explosion ?

Assurément, la hardiesse de la convocation n’y fut pas étrangère. Dans une société et au milieu d’institutions vieillies, à l’heure où souffle un vent d’innovation, quand l’attention publique est fatiguée de conflits dont elle a lu sans cesse le récit, dont elle connaît l’origine et prévoit le dénoûment, il arrive une heure où le besoin d’incidens imprévus s’empare des esprits. En 1788, l’ancien régime était las des vieilles formes, mais n’osait pas encore l’avouer. Il lui fallait des nouveautés sous le masque de la tradition. La résurrection des états d’une province s’assemblant pour supplier le roi de rétablir les états-généraux convenait au tempérament de la France. La forme adoptée par les Dauphinois était donc propre à leur concilier la sympathie publique.

  1. Bertrand de Molleville, Histoire de la révolution française, t. I, p. 360.