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prévenances, le visitant sans cesse, lui offrant libéralement sa table et sa maison. Il eut enfin une attention à laquelle Boccace, toujours à court d’argent, ait particulièrement sensible. « La veille même de mon départ, dit-il, comme il était déjà tard, Francesco, qui sait que je suis pauvre (et je ne l’ai jamais nié ! ), m’entraîna dans un coin retiré de la maison ; de là ne pouvant parvenir à me persuader par ses paroles, il saisit mon pauvre bras de ses mains gigantesques, et me força, tout rougissant, à accepter une très large preuve de sa libéralité. Puis il s’enfuit en me disant adieu, et me laissa là. » Boccace couronne son récit par cette exclamation comique : « Fasse Dieu que je puisse un jour le rembourser ! »

Les détails de ce récit nous renseignent mieux que quoi que ce soit sur le caractère de Boccace et la physionomie de ses dernières années. Nous apercevons ce qu’il y avait de bonté et de droiture au fond de ce caractère si variable. On peut aimer cet homme qui, après avoir tant remué d’idées et d’images, tant traversé d’aventures, prenait plaisir encore à la société d’une enfant de cinq ans.

L’année suivante, à l’automne, il retournait visiter Pétrarque, qui, las de Venise, déjà malade et préoccupé de mille façons, s’était retiré à Padoue, pour s’y consacrer tout entier aux charges pieuses de son canonicat.

Les deux amis ne devaient plus se revoir. La maladie calma l’humeur vagabonde de Boccace. Après son dernier retour de Naples. en 1370, il semble qu’il ne quitta plus guère Certaldo. Sa santé était devenue tout à fait mauvaise. Il avait des essoufflemens pénibles et souffrait à monter les escaliers. Cependant il revint encore à Florence, dans l’automne de 1373, pour y remplir un devoir et y recevoir un honneur qui fut le couronnement de sa vie littéraire. Les Florentins, dès lors, n’entendaient plus complètement la Divine Comédie, et, pour que les enseignemens contenus dans le poème national pussent être conservés aux nouvelles générations, les prieurs de la ville avaient décrété qu’un commentaire public en serait fait aux frais de la république. On allouait au titulaire de cette chaire spéciale un traitement fort large de 100 florins d’or. Nul n’était plus capable que Boccace de s’acquitter d’une pareille charge. Il avait écrit déjà une vie de Dante, conçue, à vrai dire, sur le modèle des beaux contes moraux qui sont dans les Malheurs des hommes illustres, comme un roman plutôt qu’un chapitre d’histoire. Mais il n’a jamais écrit autrement l’histoire, et ne songea assurément qu’à honorer son maître.

Dans son commentaire sur la Divine Comédie, il mêlera de même la fantaisie, la morale et l’érudition. Il commença son cours, avec le plus éclatant succès, le dimanche 23 octobre 1373. Comme il