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son âme, et prit aussitôt le parti de se réformer. Cette naïveté, cette spontanéité de foi complètent bien le portrait qu’on peut se faire de Boccace. Le moine et lui sont bien chacun dans leur rôle, et pour rien au monde je ne voudrais effacer cette page de la vie de Boccace.

Boccace n’eût pas été lui-même, s’il n’eût mis dans ses projets de réforme quelque exagération. Il écrivit aussitôt à Pétrarque pour lui décrire le trouble de son âme, sa terreur de la mort et du châtiment éternel. Il lui annonçait même le dessein désespéré de renoncer aux lettres pour toujours et de détruire tous ses livres. La réponse de Pétrarque est ce qu’on pouvait attendre de ce grand esprit, reposé dès longtemps dans la calme possession de la plus pure religion. Il semble vraiment qu’on entende parler un Basile ou un Chrysostome. Il met d’abord Boccace en garde contre cette facilité à accepter pour vrai, du premier coup et sans preuves, un fait miraculeux. La circonspection à ce sujet doit être extrême, car les erreurs sont fréquentes et l’imagination nous induit souvent en erreur. Mais en admettant même que le chartreux ait dit vrai, et que le père Petroni ait été favorisé d’une vision, en quoi cette vision doit-elle troubler Boccace, et qu’a-t-il appris qu’il ne sût déjà ? Que sa mort est prochaine ? — La mort est toujours prochaine, et la vie la plus longue n’est qu’un clin d’œil auprès de l’éternité. Qu’il devait réformer sa vie, se préparer à la mort ? — L’ignorait-il ?

Pour ce qui est des belles-lettres, des livres et des auteurs antiques, Pétrarque ne pouvait admettre l’avertissement, d’où qu’il vînt. Avec son érudition aisée et une complète sécurité de conscience, il prend la défense des lettres, s’appuyant sur les pères et les enseignemens mêmes de l’église. Si pourtant Boccace persiste dans son dessein et veut se de faire de ses livres, qu’il en fixe le prix et ne les cède à nul autre qu’à Pétrarque. Tant de prudence et de cordialité ramenèrent le calme dans l’âme du nouveau converti.

Sa conversion fit grand bruit, et quelques-uns pensèrent qu’il ne pouvait faire moins que d’entrer au couvent pour pleurer ses péchés. L’idée de voir Boccace moine, qui, à première vue, nous paraît folle, ne sembla pas telle aux Florentins d’alors. On la trouva naturelle, puisqu’on l’imagina. Pourtant il n’alla point jusque-là, et se contenta de mener désormais une vie raisonnable. Il avait presque cinquante ans.

Rendons grâces au ciel que Pétrarque ait su persuader à Boccace de continuer son labeur d’érudit. Nous devons, en effet, à ces deux grands hommes, un service que nulle reconnaissance ne pourra payer : ils nous ont sauvé les poèmes d’Homère que, sans leur industrieux dévoûment, nous ne posséderions peut-être pas. Le moyen