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crespelé, » ses « blanches et délicates épaules, » son teint frais, sa petite bouche rose et son œil « de faucon. » Enfin, c’est Boccace, qui, pour raconter les plus libres histoires de ce livre très libre, reprend son surnom déjà, connu : « le très immonde Dionée. » Mais c’est au penchant des collines toscanes, au-dessus du Mugnone et de l’Arno, que la compagnie s’assemble pour les chants, les danses et les histoires racontées. Le décor seul est florentin.

Le prologue du Décaméron semble en donner la date, puisqu’il contient l’immortelle description de la peste de Florence en 1348. L’assemblage des nouvelles et leur dernière rédaction doivent donc être postérieurs à cette date. Mais ces récits, pour la plupart, sous cette forme ou une autre, par écrit ou oralement, avaient été faits plus anciennement. Boccace nous apprend qu’il n’en forma le recueil que « par ordre supérieur. » L’ordre ne pouvait guère venir que de la licencieuse Jeanne, devenue reine de Naples, en 1343, par la mort de Robert, son aïeul. Boccace devait obéissance à une si haute volonté ; il ramassa donc, dans sa mémoire ou ses notes, les histoires que la cour de Naples s’était plu à lui entendre raconter. L’impression récente de la peste lui donna l’envie de la décrire, et il s’en fit un cadre.

Pas plus que pour ses premières œuvres, Boccace n’a ici inventé aucune histoire. Pour le bien prouver, il cite souvent ses auteurs, et même donne différentes versions, quand il y en a. La science moderne a fort heureusement cherché les sources de ces récits, et, de proche en proche, a remonté souvent jusqu’à l’inépuisable réservoir des conteurs indous. Les fabliaux, les chansons de geste, les romans grecs, les compilateurs de la décadence romaine, les traditions populaires, les superstitions locales, les légendes marines et orientales, les récits des voyageurs et des marchands, les bizarres croyances botaniques et minéralogiques du moyen âge, les recueils arabes et persans, les vies des saints, l’histoire même, tout a contribué à former cette singulière collection. Mais quelles que soient les origines dernières, il est probable que la plupart de ces histoires sont parvenues à Boccace sous une forme orale et populaire ; et comme il n’avait aucune intention didactique, il a donné libre carrière à son esprit et à son imagination, accommodant le tout aux mœurs et au goût de son temps.

Aussi le Décaméron présente le mélange le plus confus de principes, d’idées, de personnes, de peuples et d’époques. La morale y est tour à tour pure et relâchée, l’esprit catholique et païen. Il n’y a aucune unité et il ne peut y en avoir aucune. On y trouve le langage recherché des cours et la libre « grossièreté des gens de commerce. » Au fond, comme les hommes aiment toujours qu’on