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Il n’y a point autant de contradiction qu’on le croirait. Susceptible et ombrageux à l’excès, par un orgueil assez haut placé qui domine tout son caractère, il suppose facilement aux autres, et même à ses amis, de mauvaises intentions ; alors il se monte à une indignation bouillante. Il s’emporte en invectives outrageuses, et se croit l’homme le plus méconnu et le plus blessé de la terre. Mais sa colère est courte et rare. Tant que son sensible orgueil n’a pas été atteint, il est le plus pacifique des hommes. Il laisse tout passer en souriant, si bien qu’on a pu lui reprocher de l’indifférence. Acciaiuoli le nommait méchamment : « Jean des tranquillités, » (Johannes tranquillitatum). Il fut très sensible à l’épigramme, et la supporta avec tant d’impatience qu’elle devait bien avoir quelque vérité.

L’homme dont j’ai tracé, autant qu’il se peut, le portrait, était-il fait pour plaire à une grande dame de la cour ? Je n’en décide pas. Il faut bien dire qu’il était jeune, « ayant à peine duvet au menton. » Cela est un attrait. Il était spirituel et de la plus plaisante conversation, et cela en est un autre. Et, d’autre part, la bonne renommée des belles Napolitaines est déjà trop ébranlée par l’histoire pour qu’une aventure de plus y puisse nuire beaucoup. Aussi je ne tranche rien. On devra seulement se souvenir que, si Boccace s’attribua poétiquement des bonheurs qu’il n’eut pas, il n’aurait pas admis qu’on pût lui en faire un crime. Il a défendu les poètes et lui-même du reproche de mensonge qu’on leur adressait souvent, et a soutenu que fiction n’était pas mensonge : Fingendo, non mentiendo.

Quel qu’ait été l’avancement de Boccace dans les bonnes grâces de Maria d’Aquino, il n’est pas douteux, du moins, qu’il la prit pour dame poétique. Il écrivit pour elle, et l’introduisit même discrètement comme personnage dans ses histoires romanesques. Il y figurait lui-même, et y faisait figurer les dames et les cavaliers de la petite coterie mondaine où il s’était affilié. Maria d’Aquino y porte le nom charmant de Fiammetta, qui semble la décrire tout entière dans sa grâce alerte. Si Fiammetta nous est connue, si Dionée l’est aussi, il ne s’ensuit pas que des aventures réelles nous soient contées dans les romans et les poèmes de Boccace. Bien souvent, je pense, Boccace parle par allusions et allégoriquement. Les familiers de la cour de Naples devaient l’entendre aisément. Mais pour l’entendre à notre tour, il nous faudrait une clé, que n’ont point donnée les commentateurs contemporains, et faute de laquelle il sera prudent d’éviter toute tentative d’interprétation.

Si ces romans et ces poèmes nous fournissent peu de renseignemens historiques, ils restent les monumens d’une littérature jeune