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et qu’une partie de ses membres poursuit l’interprétation des anciens dogmes mystiques et des lois inexpliquées de la nature, on pourrait voir en elle une sorte d’académie hermétique, assez étrangère aux choses de la vie. On est vite ramené à la réalité par la nature des publications qu’elle fait ou qu’elle recommande, et par la déclaration contenue dans le Lucifer, publié à Londres, et reproduite dans le Lotus du mois de janvier dernier : « N’est pas théosophe qui ne pratique pas l’altruisme (le contraire de l’égoïsme) ; qui n’est pas préparé à partager son dernier morceau de pain avec plus faible ou plus pauvre que lui ; qui néglige d’aider l’homme, son frère, quelles que soient sa race, sa nation ou sa croyance, en quelque temps et quelque lieu qu’il le voie souffrant, et fait la sourde oreille au cri de la misère humaine ; qui enfin entend calomnier un innocent, théosophiste ou non, sans prendre sa défense, comme il le ferait pour lui-même. » Cette déclaration n’est pas chrétienne, puisqu’elle ne tient pas compte des croyances, qu’elle ne fait de prosélytisme pour aucune communion, et que, en en fait, les chrétiens ont ordinairement employé la calomnie contre leurs adversaires, par exemple contre les manichéens, les protestans et les juifs. Elle est bien moins encore musulmane ou brahmanique. Elle est purement bouddhique ; les publications pratiques de la société sont ou des livres bouddhiques traduits, ou des ouvrages originaux inspirés par l’enseignement du Bouddha. La société a donc un caractère bouddhique.

Elle s’en défend un peu, dans la crainte de prendre une couleur sectaire et exclusive. Elle a tort : le bouddhisme vrai et original n’est pas une secte, c’est à peine une religion. C’est plutôt une réforme morale et intellectuelle, qui n’exclut aucune croyance, mais n’en adopte aucune. C’est ce que fait la Société théosophique. Au point de vue de la doctrine, le bouddhisme n’a point de mystères ; le Bouddha prêchait en paraboles ; mais une parabole est une comparaison développée et n’a rien en soi de symbolique. Les théosophes ont très bien vu que dans les religions, il y a toujours eu deux enseignemens, l’un très simple d’apparence et plein de figures ou de fables qu’on présente comme des réalités ; c’est l’enseignement public, dit exotérique ; l’autre, ésotérique ou intérieur, réservé aux adeptes plus instruits, plus discrets, aux initiés du second degré. Il y a enfin, une sorte de science, qui a pu être cultivée jadis dans le secret des sanctuaires, science que l’on nomme l’hermétisme et qui donne l’explication dernière des symboles. Quand on l’applique à plusieurs religions, on s’aperçoit que leurs symboliques, diverses en apparence, reposent sur un même fonds d’idées et se ramènent à une façon unique d’interpréter la nature.