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dans le culte, mais aussi dans la conduite de la vie. Ainsi les religions ont chacune sa morale et sa politique, et s’intéressent dans toutes les affaires humaines ; car chacun se modèle sur son dieu. Le Bouddha avait laissé de côté l’idée d’un Dieu personnel et même d’un Être suprême, quel qu’il fût. Il avait compris que, s’il donnait l’individualité au principe des choses, ou il le ferait multiple et retomberait dans le polythéisme brahmanique, ou il en ferait un maître unique, une sorte de monarque absolu, dont l’initiative se substituerait à celle de tous les autres êtres. Dès lors, la science d’une part, la vertu de l’autre, seraient vaines, puisque son caprice ou sa grâce ferait tout le mérite de chacun. L’effort de la volonté, sur lequel reposait toute la morale du Bouddha, deviendrait une chimère et cesserait d’être la voie qui mène au nirvâna, à la perfection et au repos. En outre, ce Dieu suprême, qu’on aurait ainsi constitué, se trouverait en lutte avec tous les dieux des autres religions, créerait entre elles l’état de guerre et rendrait la charité impossible. C’est pourquoi le Bouddha et après lui ses sectateurs acceptèrent toutes les religions, proclamèrent la tolérance universelle, et ne demandèrent aux hommes que l’amour mutuel et sincère, la charité. Les missionnaires chrétiens qui ont séjourné dans les pays bouddhistes sont unanimes à reconnaître, la tolérance de cette religion envers les ministres des autres cultes. Là où le bouddhisme pur a prévalu, il ne s’est jamais montré persécuteur.

Quand Jésus fut mort sur la croix, ses disciples ne tardèrent pas à se former en église, à poser et à discuter les problèmes relatifs au Père, au Fils et à l’Esprit. La plupart des premiers chrétiens étaient Juifs ; les autres étaient presque tous Grecs, sortant du polythéisme ; tous vivaient dans un milieu social où la personnalité divine était la doctrine courante. Quand la religion chrétienne définit ses dogmes, elle appuya sur ce point plus que ne l’avaient fait les écoles philosophiques de la Grèce. Elle prit les livres hébraïques pour ses livres saints et proclama Dieu, non-seulement unique, mais séparé du monde et créateur de l’univers. Saint Augustin (Conf., 5, II) écrit ce qui suit : « Les livres du Nouveau-Testament, nous disaient les manichéens, ont été falsifiés par nous ne savons quelles gens, qui ont voulu introduire la loi des Juifs dans la foi des chrétiens, et ils n’en ont eux-mêmes que des exemplaires altérés. » Ce fut donc bien là le point de départ du conflit. Née en grande partie de la prédication bouddhique, et groupant dans son unité des élémens pris aux religions aryennes, la foi de l’église se fit juive par son sommet, c’est-à-dire par la théologie.