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D’autres sectateurs des mêmes doctrines furent trouvés en Espagne, à Tolède, et livrés aux flammes. Mais je parle surtout de ceux qu’on désignait dans le midi de la France par les noms de cathares, de patarins, de publicains, de bonshommes, et qui ont été compris sous la dénomination commune d’albigeois. Leur histoire est trop connue et a été trop de fois racontée pour qu’il soit utile de la reprendre ici. Ils représentent le dernier rameau des manichéens vers l’Occident. Plusieurs intérêts et des passions très diverses furent en jeu dans la longue et épouvantable guerre qui leur fut faite. L’église romaine vit surtout la divergence des doctrines et poursuivit l’extinction d’une hérésie. Les rois et les seigneurs français furent sans doute inspirés par des motifs politiques. La politique supérieure de la cour pontificale, qui mena les événemens et arma le bras séculier, défendait l’intégrité de l’autorité souveraine du pape. On savait bien à Rome que par l’hérésie les esprits se séparent du pouvoir central, s’en affranchissent et l’affaiblissent d’autant. On crut bien faire, pour détruire l’hérésie, de détruire les hérétiques ; c’est ainsi que pour tuer la maladie, les médecins d’autrefois tuaient le malade. L’église romaine s’aperçut plus tard de son erreur, car le traitement fait aux albigeois ne contribua pas peu au succès du protestantisme.

Les faits que je viens de résumer sont consignés et longuement racontés dans les Annales ecclésiastiques du cardinal Baronius. Je ne les ai point rappelés pour être désagréable à l’église catholique, qui sûrement a changé d’esprit depuis le XIIe siècle. Mais j’ai dû suivre pendant un millier d’années la destinée étrange et lamentable d’une secte toujours « combattue » et qui pourtant tirait son origine des mêmes sources que le christianisme. Pourquoi ce dernier l’a-t-il ainsi persécutée, détruite par le feu et le fer, et, ce qui est pire encore, déshonorée par les plus effroyables accusations ? La lutte a commencé dès l’origine, lorsque l’autorité romaine était dans son berceau et aspirait elle-même à l’existence. Elle a été générale, s’est étendue sur l’Orient et sur l’Occident. Dans toutes ses péripéties, on ne trouverait en jeu ni les mêmes passions ni les mêmes intérêts qu’au temps de Simon de Montfort et des comtes de Toulouse. Il y a donc eu une cause plus générale, plus profonde, qui a fait repousser de partout et en tout temps, par les puissances, des dogmes que le peuple accueillait. Cette cause, on peut la dégager par l’analyse.

Les religions sont les grandes associations humaines, plus étendues que les états et que les nations. Chacune d’elles repose sur une manière de concevoir le principe des choses. Cette conception a des conséquences nécessaires qui se manifestent, non-seulement