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au supplice. Cet Oupravda est celui que l’histoire appelle Justin, le père de l’empereur légiste Justinien.

Du reste, la persécution était devenue générale. En Perse, le rot Sassanide Cabad en massacra plusieurs milliers avec leur évêque, quoiqu’ils fussent originaires de son royaume. Les procédés pour les détruire n’étaient pas scrupuleux. Il y avait en Arménie un certain Constantin qui, voyant les manichéens partout persécutés, se mit tout à coup à leur tête, se donnant, disait-on, pour Sylvanus, que jadis l’apôtre saint Paul avait envoyé en Macédoine. Pour se débarrasser de lui, l’empereur Constance envoya un palatin nommé Siméon, qui le fît tuer d’un coup de pierre par un de ses plus chers disciples. Malheureusement ce Siméon se fit lui-même manichéen, convertit beaucoup de monde, et la secte ne parut détruite que sous Justinien II, qui en livra aux flammes les adhérens. Mais ils étaient redevenus très nombreux au temps de Léon l’Isaurien ; chassés des villes d’Arménie, ils s’étaient retirés dans les montagnes, où l’empereur les fit traquer.

Au milieu de persécutions inouïes, l’église manichéenne avait grandi. Elle s’étendait sur l’empire d’Orient et sur les états de l’Occident. Elle s’était en quelque sorte fractionnée et avait pris des noms divers, notamment ceux de pauliciens et d’atinganes. Elle avait eu quelque répit sous Nicéphore, empereur contemporain de Charlemagne, qui la protégeait visiblement. Mais en 812, son successeur, Michel Curopalate, reprit les poursuites contre les manichéens et les fit tuer par le glaive jusque dans Constantinople. En 865, Michel III, sur le conseil de l’impératrice Théodora, employa un moyen décisif contre les pauliciens. Ils avaient pris une telle extension qu’on ne pouvait plus espérer les réduire qu’en levant une armée. On en leva une et l’on envoya contre eux plusieurs généraux, qui « firent la chose lestement » et en tuèrent environ cent mille. — Sur la fin du siècle, Basile le Macédonien les acheva ; ils furent tellement écrasés, que leur multitude, alors immense, « se dissipa comme une fumée. »

L’empire d’Orient avait donc exterminé les bouddhistes manichéens, issus de l’essénien Elkesai vers le temps des apôtres. Mais ils reparurent en Occident sous d’autres noms. Je ne parle pas des pauliciens, qui, venus en Allemagne, y furent une des origines de la réforme protestante ; leur sort fut encore le moins misérable. Je parle des sectaires, qui, au XIe siècle, parurent d’abord à Orléans. Leurs doctrines apportées, disait-on, par une femme venue d’Italie, y étaient qualifiées d’hérésie manichéenne. Le pieux roi Robert se rendit en hâte dans la ville, y convoqua beaucoup d’évêques et d’abbés convaincus d’être fauteurs de l’hérésie et les fit brûler vifs.