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Décalogue le culte, non d’un seul Dieu, mais de plusieurs et même d’un grand nombre. Dans ce que les pères nous rapportent sur ce sujet, il y a quelque confusion ; Manès, qui savait les langues sémitiques, avait sûrement, comme nos propres savans, trouvé le polythéisme dans les anciens livres de la Bible, livres que les chrétiens admettaient.

L’église manichéenne était, comme l’église bouddhique, partagée en deux classes de personnes, les Auditeurs et les Élus. Pour faire partie de l’assemblée, on devait recevoir le baptême ; c’est ce qu’affirme saint Jérôme, qui vivait en Orient ; quand saint Augustin le nie, il faut entendre par là que ce baptême se pratiquait sous une forme différente de celui des chrétiens. Manès eut douze disciples, comme Jésus. À l’imitation du nombre de ces apôtres, son église eut toujours douze élus portant le titre de maîtres et un treizième avec le titre de prince. Ces maîtres ordonnaient des évêques au nombre de soixante-douze ; les évêques ordonnaient des prêtres et étaient en outre suivis de diacres. On voit que, quant à son organisation, l’église manichéenne différait peu de celle des chrétiens et reproduisait également l’organisation bouddhique.

En outre, on y pratiquait aussi l’abstinence : la viande, les œufs, le vin étaient interdits ; le célibat et la virginité étaient recommandés, mais non obligatoires. La méditation, la lecture et l’enseignement étaient l’occupation ordinaire de ces religieux ; leurs austérités exténuaient leurs corps, et, dans Rome, quand on voyait passer un homme pâle et triste, on disait : C’est un pauvre manichéen.

Pour propager au loin la doctrine, leur église avait des missionnaires qui se répandaient dans les différentes parties du monde ; ces religieux savans et convaincus attiraient les hommes en leur promettant la vérité nue, sans symboles, ne l’imposant jamais d’autorité, n’employant que le raisonnement et la persuasion. Saint Augustin, avant de connaître Ambroise, fut neuf ans manichéen ; ce qui ne fût pas arrivé, si cette secte eût commis les infamies dont on l’a chargée. C’est par leur influence qu’il fut nommé professeur de rhétorique ; il parle avec éloge, dans ses Confessions, de la douceur de langage, des bonnes manières et des qualités distinguées de l’évêque manichéen Faustus, qu’il avait connu à Carthage. Du reste, les auteurs les plus malveillans ne citent pas un seul acte de violence commis par ces bouddhistes occidentaux ; on ne les accuse que de fausses doctrines et d’actions honteuses, faites dans le secret et que personne ne pouvait constater. En revanche, saint Augustin nous dit qu’il était très difficile de ramener à l’église chrétienne les gens initiés à la religion de Manès.

Ils furent poursuivis avec la plus extrême rigueur, aussitôt que