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prince à reconnaître les nouvelles idées qui progressivement s’emparaient des esprits. Certains historiens prétendent qu’il ne fut pas baptisé ; l’église affirme qu’il le fut, et nomme le pape Sylvestre comme lui ayant conféré le baptême en 324. C’est en 325 qu’il réunit le concile de Nicée, comme Açôka avait réuni le concile de Patna l’année qui suivit sa conversion.

C’est à Nicée que la foi chrétienne rompit officiellement avec le bouddhisme, dont la plupart des sectes s’étaient déjà séparées. Cette rupture fut confirmée par le Credo, où est énoncée la croyance en un Dieu personnel, créateur du ciel et de la terre ; Jésus-Christ est ensuite déclaré son fils unique, ne faisant avec lui qu’une substance. L’incarnation sous une figure humaine dans le sein de la vierge Marie est empruntée au bouddhisme ; l’ascension rappelle le nirvâna. Mais le Credo se sépare de la théorie indienne en remplaçant par un retour glorieux du même Christ (iterum venturus est cum gloria) l’incarnation future d’autres sauveurs. La doctrine orientale dit que l’effet d’une incarnation s’épuise à la longue et en appelle une autre. Si, au temps de Constantin, on n’avait pas perdu de vue les origines multiples du christianisme, dont plusieurs étaient pourtant indiquées par Eusèbe, on aurait peut-être reconnu que l’idée bouddhique répondait mieux à la réalité, puisque en fait Jésus-Christ était le second sauveur, peut-être ce Maitrêya, dont le nom veut dire Charité, annoncé jadis par le Bouddha ; on n’aurait pas clos si vite la série des incarnations. Il est à remarquer que le Credo énonce l’incarnation du Fils de Dieu, mais qu’il ne parle point du fils de David, idée purement hébraïque. Si l’on analyse article par article l’œuvre de Nicée, on constate qu’elle n’a rien de juif, si ce n’est la personnalité divine et la création. La passion et la mort de Jésus sont le fait historique, mis à sa date par le nom de Pontius Pilatus. Le reste est comme le développement de la formule : « le Bouddha, la Loi, l’Église. » On verra dans les pages suivantes quelles conséquences eut pour la société religieuse de l’Occident l’élément Israélite qui venait de prévaloir dans la foi chrétienne.


III

L’église du Christ n’avait pas absorbé toute la secte des esséniens. Ils étaient encore nombreux au temps de l’historien Josèphe. Saint Épiphane, sur la fin du IVe siècle, nous dit que de son temps ils existaient intacts dans leur ancien séjour, à l’est de la Mer-Morte. Cyrille de Jérusalem parle d’un certain Scythianus que Suidas et d’autres ont à tort confondu avec Manès, chef des manichéens, et