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bonnes dispositions. Un groupe de disciples choisis l’accompagnait partout ; d’autres étaient envoyés comme apôtres pour annoncer la doctrine et préparer les hommes à la recevoir. Il se forma ainsi, du vivant de Çâkyamouni, une assemblée de fidèles, une véritable église, terme qui traduit exactement le mot sangha de la formule bouddhique.

Les religieux bouddhistes ne sont pas, à proprement parler, des prêtres. Selon nos idées, le prêtre a pour mission d’offrir le saint-sacrifice, et par là d’être le médiateur entre Dieu et le fidèle. Il transmet à Dieu l’offrande et l’adoration du fidèle ; Dieu donne en retour ses grâces et ses secours dans la vie ; au jour de la mort, Dieu reçoit le fidèle parmi ses élus. Pour que cet échange soit possible, il est nécessaire que Dieu soit conçu comme un être individuel, comme une personne, en quelque sorte comme le roi de l’univers, distribuant ses faveurs selon sa volonté, sans doute aussi selon la justice. Les anciens Grecs et les Romains concevaient ainsi leurs dieux. Les Juifs et les autres Sémites ne pensaient pas autrement. C’est pourquoi, dans tout l’Occident, le prêtre a été jadis et se trouve encore aujourd’hui l’intermédiaire entre Dieu et l’homme, et c’est là ce qui donne un caractère sacré à sa fonction. En cela les brahmanes ne différaient pas des autres prêtres. Le Véda, qui est leur Sainte-Écriture, est un recueil d’hymnes dont chacun est une demande de secours adressée à quelque dieu : au nom du roi et du peuple, le prêtre offre aux dieux la liqueur du sôma, sorte de vin, le gâteau et le beurre, afin qu’ils en nourrissent leurs corps glorieux ; il chante leurs louanges en présence de l’autel, où brûle la flamme d’Agni ; en retour, les dieux donnent aux hommes des richesses, des troupeaux, de beaux et nombreux enfans, et enfin leurs bénédictions. Tel est le rôle du prêtre.

Rien de pareil dans le bouddhisme. Comme il n’y a pas de dieu personnel, il n’y a pas de saint-sacrifice, il n’y a pas d’intermédiaire. Le temple bouddhique n’est pas un sanctuaire ; c’est un stûpa ou dôme terminé en pointe, fait à l’imitation de l’édifice qui fut élevé sur les cendres de Çâkyamouni. Ce n’est pas « la maison de Dieu ; » c’est une construction honorifique, une sorte de cénotaphe, destiné à rappeler la mémoire du fondateur de la religion. Quand un néophyte veut faire partie de l’Assemblée des fidèles, il ne dit pas : « Je crois au Père, au Fils et à l’Esprit, un seul Dieu en trois personnes ; » il dit : « Dans le Bouddha je me réfugie, dans la Loi je me réfugie, dans l’Assemblée je me réfugie. » Ce bouddha n’est pas un dieu qu’on implore ; ce fut un homme parvenu au degré suprême de la sagesse et de la vertu. Le bouddhiste ne le prie pas ; il médite sur le tombeau du maître, dépose quelque fleur