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dans « la raison » de son petit-fils. Il l’avait trouvée plus d’une fois en défaut, et quand il s’agissait de la convaincre, au lieu de lui faire simplement appel, ainsi que l’eût désiré Mme des Ursins, il avait volontiers recours aux argumens irrésistibles. Cette fois encore, il jugea qu’elle s’égarait, et il envoya, les 9 et 16 mai, au marquis de Bonnac, des instructions fort nettes pour la remettre dans le droit chemin. Sans se montrer insensible aux plaintes respectueuses que Philippe lui avait adressées, ce qui eût été fort imprudent dans les circonstances, il voulut couper court, par des argumens décisifs et irréfutables, à ses prétentions illusoires.

Le roi d’Espagne « considérait comme une espèce d’omission de la part de son aïeul de n’avoir pas proposé qu’on laissât en Espagne un de ses fils, si lui-même parvenait à succéder à la couronne de France ; » mais « un pareil expédient pour empêcher l’union des deux monarchies eût été regardé comme un artifice grossier, dont l’effet aurait été d’assurer plus certainement l’événement que toute l’Europe affecte de craindre[1]. » Il prétend que les Anglais lui fassent rendre toutes ses possessions d’Italie, et qu’eux-mêmes lui restituent Gibraltar, pour reconnaître le sacrifice qu’ils accomplit en optant pour le trône d’Espagne. « Je souhaiterais, écrit Louis XIV, de pouvoir lui procurer cette restitution… Les Anglais peuvent contribuer beaucoup à la conclusion de la paix, mais ils ne sont pas les maîtres d’en décider les conditions, et quand-même ils voudraient procurer au roi d’Espagne cette restitution, il ne serait pas en leur pouvoir de le faire. Jamais les alliés de l’archiduc ne consentiraient à l’y obliger… Quant à la demande de Gibraltar, je vois par sa lettre qu’il s’appuie sur l’obligation que les Anglais lui doivent avoir des facilités qu’il apporte à la paix… L’opinion des Anglais bien intentionnés pour la paix est, au contraire, que le roi catholique doit être leur obligé de conserver par leur moyen l’Espagne et les Indes, et qu’il est juste que l’Angleterre soit récompensée d’un service aussi important que celui qu’il reçoit d’elle[2]. »

Philippe n’a pas craint de taxer les Anglais d’aveuglement et de témérité, méconnaissant le service immense que leur souveraine rend en ce moment à la France. Louis XIV relève avec sévérité ces accusations non moins injustes qu’inopportunes : « Comme il y avait peu d’apparence de maintenir la couronne d’Espagne dans ma maison par les événemens de la guerre, les Anglais connaissent qu’ils peuvent, sans témérité et sans aveuglement, exiger des

  1. Louis XIV à Bonnac, 9 mai 1712.
  2. Louis XIV à Bonnac, 16 mai 1712.