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royaumes en renonçant, comme les Anglais le demandent, à ses droits sur la couronne de France… Il est fâcheux d’avoir à représenter à Leurs Majestés catholiques ce qu’Elles doivent effectivement appréhender de la nécessité indispensable où l’on est de faire la paix, même à des conditions qui ne pourraient être que très fâcheuses pour le roi et pour la reine d’Espagne, si elles étaient réglées sans leur participation. »

Dans une dépêche postérieure de quelques jours, après avoir entretenu Bonnac des mesures que le roi d’Espagne avait prises pour constituer, dans les Pays-Bas, une souveraineté indépendante en faveur de Mme des Ursins, le ministre ajoutait : « Je dois cependant vous dire que le succès ne sera pas facile… Il ne faut pas se rebuter, mais tâcher, au contraire, de profiter de toutes les facilités que le roi d’Espagne voudra bien apporter à la paix pour en tirer aussi quelques avantages[1]. »

Céder tout d’abord et de bonne grâce aux avis affectueux quand on sent que la résistance sera vaine, au lieu de se laisser vaincre à la fin par la contrainte, sera toujours un acte de bonne politique, parce qu’il permet de faire valoir sa condescendance, de vanter, au besoin, sa gracieuse obligeance et de prétendre à des dédommagemens. Mme des Ursins savait à merveille lire entre les lignes, et elle connaissait trop bien les nécessités implacables de la situation pour conseiller une opposition stérile aux désirs de Louis XIV. Dès que ses désirs furent clairement pressentis, dès qu’il ne fut plus douteux que, dans la pensée du roi de France, son petit-fils devait opter pour la couronne d’Espagne, Philippe n’hésita pas à prendre nettement un parti conforme à ce désir, et il hésita d’autant moins que ses propres inclinations y trouvaient leur compte. Seulement, comme il prévenait, pour ainsi dire, les vœux de son aïeul, comme il allait, pour lui être personnellement agréable et pour plaire à ses nouveaux alliés les Anglais, accomplir un acte de la plus haute portée, consentir, ou tout au moins paraître consentir au plus pénible des sacrifices, il demanda qu’on voulût bien en reconnaître le mérite par des compensations importantes. Dix jours avant que la correspondance impérieuse qu’on vient de lire ne parvînt à Madrid, Philippe V adressait à son aïeul la lettre suivante, par laquelle il lui annonçait son intention formelle de renoncer au trône de France. Nous en avons trouvé l’autographe aux Archives des affaires étrangères, et nous croyons devoir en faire passer presque intégralement le texte, quelque étendu qu’il soit, sous les yeux du lecteur, parce qu’il lui fera exactement connaître quelles étaient, en ce moment,

  1. Torcy à Bonnac, 25 avril 1712.