Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 88.djvu/339

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

embarrassante, en vérité, madame, je ne serais ni assez capable ni assez hardi pour lui donner conseil. Un politique alerte lui dirait de tout promettre pour faire la paix, parce que la renonciation qu’il fera, étant contre les lois, ne pourrait jamais subsister ; mais je ne sais si le conseil serait de son goût, et j’aime beaucoup mieux que d’autres que moi le lui donnent[1]. »

Après avoir fait connaître à Mme des Ursins que Bonnac a reçu de Louis XIV l’ordre de se concerter avec elle « sur un point aussi important et aussi difficile, » Torcy termine ainsi sa dépêche :

« Le roi ne propose aucun parti au roi son petit-fils ; c’est à lui de décider de celui qu’il croira devoir prendre ; mais il faut que la résolution soit prompte et la réponse de même… Il faut compter que la réponse aux lettres que j’ai écrites par ordre de Sa Majesté sera de laisser au roi d’Espagne le choix ou d’abandonner dès à présent l’Espagne, et de revenir en France attendre le sort incertain d’un enfant qui le précède dans l’ordre de succession à la couronne, ou de renoncer aux droits qu’il a sur cette même couronne[2]… »

Quelques jours plus tard, les 18, 25 et 28 avril, partiront de Marly pour l’Espagne, adressés par Louis XIV à Philippe et à Bonnac, par Torcy à Bonnac et à la princesse des Ursins, non plus seulement des suggestions timides et discrètes, mais des avis nets et précis qui deviendront successivement péremptoires et presque menaçans. L’urgente nécessité ne comporte ni les ménagemens ni les délais. Si on ne traitait sans retard d’une suspension d’armes avec l’Angleterre, la France était perdue. Or la reine se refusait obstinément à l’accorder tant que Philippe V n’aurait pas pris l’engagement formel que ses ministres exigeaient.

« Les instances de l’Angleterre deviennent plus pressantes, mande Louis XIV à Philippe, le 18 août, de sa propre main ; .. la nécessité de la paix augmente aussi chaque jour, et les moyens de soutenir la guerre étant épuisés, je me verrai enfin obligé de traiter à des conditions également désagréables et pour moi et pour votre Majesté, si Elle ne prévient cette extrémité en prenant incessamment son parti sur le compte que le sieur de Bonnac lui rendra des affaires. Il vous dira ce que je pense dans une conjoncture aussi

  1. La diplomatie de Louis XIV était peu délicate. On pourrait être surpris de rencontrer ce conseil sous la plume de l’honnête homme qui dirigeait alors les affaires étrangères du royaume, si on ne savait, d’après sa volumineuse correspondance, qu’il n’était pas l’ennemi de pareilles habiletés, s’il ne fallait d’ailleurs considérer cette insinuation un peu perfide comme une sorte de transaction entre l’opinion imprudente qu’il avait émise d’abord sur les obligations imprescriptibles imposées par le droit divin et le conseil qu’il donnera, quelques jours plus tard, de céder aux exigences de l’Angleterre.
  2. Torcy à Mme des Ursins, 9 avril 1712. (Archives des affaires étrangères.)