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immédiatement sans demander le consentement de personne ; qu’il succède, non comme héritier, mais comme le maître du royaume dont la seigneurie lui appartient, non par le choix, mais par le droit de naissance ; qu’il n’est obligé de sa couronne ni à la volonté de son prédécesseur, ni à aucun édit, ni à aucun traité, ni à la libéralité de qui que ce soit ; qu’il ne l’est que de la loi, cette loi étant estimée l’ouvrage de celui qui a établi les monarchies, et qu’on tient en France qu’il n’y a que Dieu qui puisse l’abolir, par conséquent qu’il n’y a aucune renonciation qui puisse le détruire. » C’est ainsi que parla Gauthier, le ô août, à Utrecht, en exposant les scrupules du roi et ses objections constitutionnelles.

Moins sceptiques et moins avisés qu’ils ne l’étaient réellement, Oxford et Bolingbroke, dans les graves et pressantes conjonctures où ils se trouvaient, ne se fussent pas certainement laissé convaincre par ces subtilités légales du droit divin, si peu conformes, d’ailleurs, au génie et aux institutions britanniques. Une accablante responsabilité pesait sur eux. Allaient-ils donc, aux yeux de l’Angleterre, de toute l’Europe, passer pour complices ou tout au moins pour dupes du roi de France ? Leur honneur serait perdu, leur liberté, leur vie même seraient compromises.

« Nous voulons croire, écrivit Bolingbroke à Torcy, lorsqu’il eut pris connaissance des harangues de l’abbé, que vous tenez en France qu’il n’y a que Dieu seul qui puisse abolir la loi sur laquelle votre droit de succession est fondé ; mais vous nous permettrez aussi de croire en Angleterre qu’un prince peut se départir de ses droits par une cession volontaire, et que celui en faveur de qui il aurait fait la renonciation pourrait être soutenu avec justice dans ses prétentions par les puissances qui en auraient garanti les traités. La reine m’ordonne de vous dire que cet article est de si grande conséquence, tant à son égard qu’à celui de toute l’Europe, pour le siècle présent et pour la postérité, qu’elle ne peut consentir à continuer la négociation, à moins qu’on accepte l’expédient qu’on a proposé ou un autre qui soit également solide. »


IV

Louis XIV avait-il compté sur le succès des discours que ses plénipotentiaires devaient prononcer, à Utrecht, en faveur du droit divin ? Aucun doute à cet égard ne peut être permis. Il pensait assurément que l’argumentation du a fameux magistrat Jérôme Bignon, » toute justifiée qu’elle fût par le droit constitutionnel de la France, n’était guère de nature à toucher les puissances qui prodiguaient, depuis onze ans, leurs soldats et leur argent pour renverser le trône de Philippe V. Comme on l’a dit plus haut, il voulait,