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dans les premiers jours de janvier 1712, sous les auspices de l’Angleterre officieusement médiatrice, lorsque, soudain, on vit surgir un obstacle redoutable et imprévu que de douloureuses circonstances avaient fait naître, et contre lequel allaient se briser, pendant quelque temps, les plus puissans efforts des négociateurs.


III

En quelques mois, on peut dire en quelques jours, le grand dauphin, fils unique de Louis XIV, le duc de Bourgogne, fils aîné du grand dauphin, et la duchesse de Bourgogne, le duc de Bretagne, leur fils aîné, ont été frappés par la mort. La dynastie n’a plus qu’un représentant en ligne directe, le frère du duc de Bretagne, un enfant de deux ans à peine, frêle et maladif. Il est probable que Philippe V deviendra, par la force même des choses, le successeur légitime de son aïeul. Les alliés peuvent-ils souffrir que les couronnes de France et d’Espagne reposent sur une même tête ? Sans doute le testament de Charles II a stipulé formellement que ces deux couronnes resteront séparées à jamais, et que le trône d’Espagne passera au duc de Berry, si son frère, le duc d’Anjou, vient à mourir ou à régner sur la France. Mais le roi Louis XIV a-t-il admis cette restriction ? N’a-t-il pas prouvé, au contraire, qu’il voulait n’en tenir aucun compte, lorsqu’il a fait enregistrer au parlement les lettres patentes qui confirment Philippe V dans ses droits héréditaires à la succession royale ? Ce défi hautain, jeté à la face de l’Europe, a été l’une des causes principales de la coalition. Les effrayantes perspectives qui se dressent en sa présence, depuis la mort du grand dauphin, de son fils et de son petit-fils, raniment toutes ses indignations, toutes ses alarmes, toutes ses colères. Tant que les puissances alliées ne pourront être absolument certaines que jamais les deux sceptres ne seront réunis, tant qu’elles n’auront pas reçu à cet égard les plus inviolables garanties, tant que Philippe V et tous les princes français n’auront pas renoncé formellement, solennellement, pour eux et leurs héritiers, l’un au trône de France, les autres au trône d’Espagne, ces puissances ne déposeront pas les armes, les délibérations du congrès, si heureusement inauguré à Utrecht, demeureront impuissantes, par conséquent stériles.

Comment obtenir ces renonciations définitives, ces garanties absolues qui, seules, peuvent rendre la paix à l’Europe ? Jamais la diplomatie n’eut à résoudre un problème dont les données fussent plus graves, plus obscures. Outre que les lois fondamentales du royaume paraissent ne point autoriser la renonciation de Philippe V,